Au milieu des années 1990, une jeune stagiaire s’est amourachée de son patron, qui lui, l’aimait bien aussi. Un fait presque banal, qui aurait pu – au plus – être anecdotique, sauf qu’en 1998, le monde entier apprenait que le patron en question était William Jefferson Clinton, le 42e président des États-Unis. La stagiaire était Monica Lewinsky.

La très bonne série American Crime Story consacre sa prochaine saison à l’histoire Lewinsky-Clinton, après avoir porté à l’écran celles du procès d’O. J. Simpson et de l’assassinat de Gianni Versace, respectivement à ses saisons 1 et 2.

L’histoire Lewinsky-Clinton a déjà été racontée, évidemment. D’abord, en scoop, par le Drudge Report sur un web encore bien jeune, puis à travers les médias traditionnels. Mais la version la plus mémorable demeure celle de Monica Lewinsky, comme elle l’a racontée à la grande journaliste Barbara Walters, en 1999. C’est plus de 70 millions d’Américains qui ont regardé, au moins en partie, l’interview de deux heures. De ce côté de la frontière, nous avons été 3,4 millions à voir Lewinsky décrire sa liaison avec le président.

PHOTO DAMON WINTER, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Monica Lewinsky en 2015

Mais les jeux étaient faits, avant même que la première question ne soit posée. Nous avions déjà été exposés à près d’un an de détails crus, d’éditoriaux méprisants et de blagues cruelles dans les émissions de fin de soirées. L’image de Monica Lewinsky était celle d’une garce au comportement indigne. Son entretien avec Barbara Walters n’a pas vraiment changé notre perception de celle qui, à l’époque, n’avait que 26 ans et était insécure et insuffisamment conseillée. Loin de ce qui aurait dû être un pas de deux, Walters a dominé l’échange avec des questions parfois dégradantes et souvent gênantes. Il est impossible de revoir cette entrevue aujourd’hui sans grincer des dents.

Dans What’s Free ?, son premier tube après une courte incarcération, l’artiste Meek Mill rappe ceci : « Libre, c’est quand on ne nous dicte pas ce qu’on doit être. Être libre, c’est quand la télévision ne contrôle pas ce que l’on voit. »

Pendant des années après le scandale, Monica Lewinsky était encore emprisonnée par la honte et l’humiliation parce qu’elle ne pouvait pas se défaire de cette image, injustement infâme, qui lui collait à la peau et que nous lui avions imposée.

À son retour aux États-Unis après un séjour à Londres – où elle a décroché une maîtrise à la prestigieuse London School of Economics –, Lewinsky était incapable de trouver du boulot. Considérée comme radioactive pour les entreprises et les marques, Monica Lewinsky traînait encore le boulet de la honte. En 2015, elle en a fait un TED talk, vu aujourd’hui par plus de 11 millions de personnes sur YouTube. Ont suivi des conférences, une arrivée sur Twitter remarquée, un essai qu’elle signera dans le Vanity Fair et qui fut largement partagé sur les réseaux sociaux, une participation dans un documentaire soulignant le 20e anniversaire du scandale en 2018, puis quelques entrevues. Le tout avec recul, confiance et maturité, contribuant à un début de changement de narratif. Et alors que le militantisme anti-cyberintimidation de Monica Lewinsky était en plein essor, nous avons assisté à l’envolée de #moiaussi. Un mouvement qui a accéléré le changement de certains de nos mœurs et de nos perceptions.

Aujourd’hui, repenser Monica Lewinsky veut aussi dire repenser Bill Clinton. C’est ce que la saison 2 de l’excellente balado Slow Burn a fait en disséquant différemment le procès en destitution de l’ancien président. Lewinsky n’était plus sur le banc des accusés.

Repenser Bill Clinton est aussi ce que fait une certaine aile du Parti démocrate, notamment depuis la campagne présidentielle de 2016.

Si auparavant BillClinton était envoyé en renfort, comme lors de la campagne de Barack Obama en 2012, certains stratèges démocrates voient maintenant en lui un handicap.

En 2020, dans le documentaire Hillary, offert sur Netflix, Bill Clinton a finalement changé de ton, après des années de résistance et de demi-vérités. Pour la première fois, l’ancien président s’est montré prudemment empathique envers Monica Lewinsky, reconnaissant le maelström dans lequel elle s’était retrouvée depuis leur passade. Mais cet éveil tardif n’était pas suffisant pour taire les nombreuses voix critiques quand, en mars dernier, il fut annoncé que la vice-présidente Kamala Harris serait en conversation tête-à-tête avec Bill Clinton lors d’une conférence de la fondation Clinton. Le sujet de l’échange était les impacts de la COVID-19 sur les femmes et l’autonomisation des filles aux États-Unis et ailleurs dans le monde.

Est-ce que Bill Clinton était qualifié pour aborder ces thématiques ? Oui, bien sûr. Mais il y en a bien d’autres autant ou mieux qualifiés et, sans aucun indice de comportements inconvenables sur leur feuille de route, qui auraient très bien pu prendre la place de l’ancien président. C’est une maladresse que la première administration à avoir une femme vice-présidente aurait été sage d’éviter.

Alors que l’héritage de Bill Clinton a un certain flou et mériterait d’être mis au point, celui de Monica Lewinsky continue de se redéfinir. C’est un ajustement qui, dans sa prochaine itération, sera rentable pour Lewinsky puisqu’elle est une des productrices de la saison 3 d’American Crime Story. Le médium de communication le plus responsable de la destruction de l’image de Monica Lewinsky est maintenant celui qui a le plus grand potentiel de la redorer complètement et ça, selon les propres termes de la principale intéressée. La saison 3 d’American Crime Story sortira en septembre prochain. Il me tarde de la voir.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion