Une nouvelle maladie, létale, a causé plus de 11 000 morts en 14 mois. Plus de 365 000 cas diagnostiqués avec un nombre significatif d’hospitalisations parfois prolongées. On a jugé bon déclarer l’état d’urgence sanitaire. Celui-ci permet de dépenser au-delà de budgets préautorisés, de détourner des ressources du réseau de la santé, restreignant les soins aux patients qui souffrent de pathologies diverses. Était-ce justifiable ? Certainement, mais il y a raison de définir l’urgence sanitaire.

De fait, la vaccination va bon train et permet à plusieurs de faire le plein de capital politique. Il est heureux de constater que les citoyens s’investissent pour une immunité collective. Bien que l’inspiration première de plusieurs soit vraiment un désir individuel de retour à un mode de vie antérieur. Avant le vaccin, on parlait plus librement du fait que la lutte contre la pandémie a un impact sur les soins aux autres patients, et aux cancéreux en particulier, qui subissent des retards de diagnostic et de traitement. Il est plus agréable de rapporter les succès de la vaccination que de convenir de problèmes majeurs comme les soins aux cancéreux.

Il semble que l’enthousiasme en lien avec le déconfinement mène à l’oubli de situations difficiles, pour ne pas dire dramatiques.

Il semble que le discours public s’efface avec le nombre de nouveaux cas de COVID-19… belle collectivité.

Non loin de mon bureau, on sent la fin de la pandémie. Des ventilateurs, appareils pour soutenir la respiration artificielle, ont été enveloppés puisqu’on ne prévoit pas leur utilisation. Ils n’ont pas servi durant la pandémie. Il fallait prévenir, pourvoir en cas de besoin. Il y avait urgence… Il a aussi fallu réorienter les activités de laboratoire au détriment de tests pour faire le diagnostic ou le suivi d’autres maladies. La détection du SARS-COV-2 a priorité sur celle de la leucémie.

Au-delà des conventions collectives

Le déconfinement a été annoncé, mais pas le plan de reprise des activités cliniques pour voir aux besoins des laissés-pour-compte depuis 14 mois. Il a pourtant été demandé de toutes les façons depuis le début de la pandémie. Restreindre les soins, soit ! Mais en mesurer l’impact au quotidien et élaborer un plan pour rattraper les retards. Je trouve étonnant que les journalistes passent tant de temps à poser des questions sur le plan de déconfinement sans demander ce qui arrivera dans le système de santé, au-delà des conventions collectives.

La vaccination va bon train. Les centres qui se consacrent à cette activité sont fort pourvus en personnel. Les citoyens constatent l’efficacité. On présente les statistiques sur le nombre de personnes inoculées chaque jour. Mais on ne regarde pas les zones froides, ces lieux réservés aux patients qui souffrent de pathologies autres que la COVID-19, où le personnel traitant et de soutien fonctionne avec des ressources insuffisantes depuis des mois, dans des conditions ne respectant souvent pas les quotas assurant la sécurité des patients et du personnel, et clairement pas en mesure de pourvoir aux besoins.

Il n’y a pas de statistiques claires sur ces zones froides, pas de chiffres qui viendraient embarrasser les mêmes personnes qui bombent le torse en discourant de vaccination. Et surtout pas quand les annonces de coupes commencent à circuler dans le réseau de la santé.

Pourquoi l’efficacité notée dans le programme actuel de vaccination n’est-elle pas la norme dans le système de santé ? On connaît tous les chiffres en lien avec la COVID-19. Le nombre de cas, de décès, d’hospitalisations, de séjours aux soins intensifs, le nombre de vaccinés avec une dose ou deux doses. Et cette maladie n’est présente que depuis un an. Néanmoins, le Québec est un cancre dans le domaine des statistiques en lien avec les conditions de santé. On sait à peine et on estime annuellement le nombre de nouveaux cas de cancer, le nombre de décès par cancer ou comme condition associée, l’accès aux traitements et leur efficacité dans le contexte québécois.

Il y a plus de 15 ans que le cancer se voit attribuer le titre de première cause de mortalité au Québec, et il n’y a pas encore le dixième des statistiques similaires à celles de la COVID-19 pour suivre la lutte contre cette maladie. Avec environ 25 000 décès par an au Québec, cette maladie n’est-elle pas une urgence sanitaire ?

Il faut donc demander une mutation pour que l’urgence sanitaire passe de la COVID-19 au cancer, pour que les ressources efficaces consacrées au diagnostic, au traitement et à la vaccination contre la COVID-19 soient redirigées pour s’occuper des patients souffrant du cancer.

Évidemment, on ne pourra éradiquer cette maladie. À l’instar de la conquête de la Lune, Nixon, il y a 50 ans, voulait éliminer le cancer en 10 ans… Promesse de politicien. Mais on peut tendre, en se basant sur des données scientifiques fiables, à le diagnostiquer tôt alors qu’il est encore curable. Le dépistage du cancer du sein fonctionne. Il faut faire de même pour les cancers du côlon et du poumon.

Les 100 millions de dollars que le ministre Dubé annonce vouloir épargner en approuvant les biosimilaires doivent être utilisés pour financer des thérapies novatrices qui tardent à faire leur entrée au Québec. La recherche doit aussi avoir une place de choix, pour développer un traitement aussi efficacement que le vaccin contre la COVID-19. La lutte contre le cancer a aussi besoin de marge de manœuvre, comme les respirateurs qui ont fait figure de « au cas où » tout près de mon bureau.

Henri Mondor, médecin français dont le nom a été donné à un des plus grands hôpitaux de Paris, a dit : « Persuader, en médecine, est plus facile que comprendre, mais comprendre est autrement plus urgent et fécond. » Et pour comprendre urgemment, il faut des données, comme celles qui ont permis de développer des stratégies pour contenir la pandémie. Vivement une stratégie de sortie de la pandémie pour les patients qui ont le cancer, qui méritent mieux que l’attente, qui méritent des soins structurés, organisés, quantifiés que seul le sentiment d’urgence semble motiver au Québec !

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