En réponse à deux chroniques d’Yves Boisvert concernant l’ex-juge Michel Girouard, publiées les 1er mars et 4 avril derniers.

J’aimerais revenir sur deux chroniques d’Yves Boisvert des 1er mars et 4 avril 2021 concernant le juge Michel Girouard, dans lesquelles on écorche sans raison ses avocats, les bâtonniers Gérald Tremblay et Louis Masson.

Girouard est cet avocat nommé à la Cour supérieure en 2010 et contre qui, deux ans plus tard, une enquête est déclenchée par le Conseil canadien de la magistrature (CCM), lorsque fait surface une vidéo où on le verrait échanger une somme d’argent pour un objet non identifié.

Après enquête, le CCM décide en 2016 de ne pas donner suite à cette plainte. Bien qu’il note dans son rapport que le juge Girouard ait manqué de candeur et de transparence dans son témoignage, le CCM est d’avis que les allégations concernant l’achat d’une substance illicite n’ont pas été prouvées. L’affaire est classée et le juge Girouard remonte sur le banc.

Or, moins de deux mois après avoir reçu son rapport, les ministres de la Justice du Canada et du Québec demandent au CCM de tenir une nouvelle enquête, se disant préoccupées par les conclusions d’inconduite durant la première enquête.

Le CCM se saisit de cette seconde plainte et émet en 2018 un deuxième rapport recommandant, cette fois-ci, la révocation par le Parlement du juge Girouard. Ce rapport n’était toutefois pas unanime, puisque trois juges en chef étaient dissidents, au motif que le droit du juge Girouard à une audience équitable n’avait pas été respecté.

Les avocats du juge Girouard en appellent alors devant la Cour fédérale. On ne peut pas leur reprocher de le faire. D’abord, un tel recours existe et, devant deux décisions contradictoires du CCM, tout avocat aurait fait de même. Au surplus, l’apparente violation des droits linguistiques du juge Girouard, reconnue par trois membres du CCM, donnait certainement lieu à un autre motif d’appel.

C’est à partir de ce moment que les choses se corsent. Les chroniques mentionnées précédemment taisent ces épisodes qui jettent pourtant un éclairage tout à fait différent sur cette affaire.

Le 24 mai 2018, le CCM demande le rejet de l’appel, au motif que la Cour fédérale n’a pas compétence pour réviser ses décisions. En d’autres mots, le CCM prétend que ses décisions sont finales et qu’elles ne peuvent être révisées par un tribunal supérieur. Or, rares sont les décisions, surtout celles ayant effet de vie ou de mort sur la carrière d’un individu, qui sont sans appel.

Dans un jugement très dur contre le CCM, la Cour fédérale rejette la thèse de ce dernier comme étant sans fondement. Au surplus, le juge Simon Noël souligne à grands traits dans sa décision le manque de respect dont le CCM a fait preuve à l’endroit de la Cour fédérale (2018 CF 865 (CanLII), au par. 173).

Le juge Noël poursuit en reprochant au CCM ses propos dans certains médias, alors que l’affaire est devant les tribunaux, transgressant ainsi la règle sub judice. Rappelons finalement que les délais auraient été encore beaucoup plus longs si le juge Noël avait accepté la demande du CCM de suspendre le dossier.

Malgré cette décision très dure à son endroit, le CCM décide d’en appeler devant la Cour fédérale d’appel, retardant d’autant l’affaire. Dans le cadre de cet appel, le CCM en ajoute et attaque la partialité du juge Noël. La Cour fédérale d’appel rend sa décision en 2019 et confirme la totalité de la décision de ce dernier.

Incapable d’accepter cette décision, le CCM tente d’en appeler devant la Cour suprême du Canada, ce qui lui est refusé le 12 décembre 2019.

Soulignons, avant de conclure, que la Cour fédérale n’a jamais formulé aucun reproche à l’endroit de Mes Tremblay et Masson. Il est vrai qu’ils ont défendu avec beaucoup de vigueur le juge Girouard, ce qui est du devoir de tout avocat, mais leurs requêtes n’ont pas interrompu les enquêtes du CCM. Le juge Noël a pris soin de le mentionner dans son jugement.

Les attaques lancées à l’endroit de Mes Tremblay et Masson quant aux délais et aux coûts encourus sont donc clairement injustifiées, d’autant plus qu’une grande partie de ceux-ci est attribuable à l’attaque du CCM à propos de la juridiction de la Cour fédérale. Par conséquent, une analyse complète de cette affaire démontre que toutes les insinuations concernant l’éthique de Mes Tremblay et Masson sont sans fondement.

À la lumière de ce qui précède, il va sans dire qu’une réforme pour réduire les délais et les coûts des procédures pourrait s’imposer, bien que cette affaire fût exceptionnelle et qu’elle ne risque pas de se reproduire sous peu. Cela dit, dans cette affaire hors norme, si l’on doit blâmer quelqu’un d’avoir mis la table pour le « buffet à volonté » dont parle M. Boisvert, c’est peut-être vers le CCM qu’il faudrait se tourner.

RÉPONSE D’YVES BOISVERT

Michel Girouard a été filmé en train de faire une transaction chez un trafiquant de cocaïne. Il n’a pas été honnête dans son témoignage à ce sujet. Ses pairs en ont conclu qu’il était indigne d’être juge. Tout le reste, à mon humble avis, et apparemment aussi selon le juge en chef du Canada, n’est qu’avocasseries destinées à retarder son renvoi inévitable ou, pire encore, à le maintenir en poste. Je n’appelle pas cela servir la justice.

> Lisez la chronique du 1er mars : « Défendre l’indéfendable aux frais du contribuable »

> Lisez la chronique du 4 avril : « La colère et l’espoir du juge Wagner »

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