Par la puissance du verbe, les vieux sont devenus des personnes âgées et ensuite des aînés. Les sourds se sont transformés en malentendants et les nains en personnes de petite taille. Il y eut un soir, il y eut un matin et l’homme vit que cela était bon.

Subtilement, cette bonté toute chrétienne et bien intentionnée s’est ensuite métamorphosée en une sorte d’épuration linguistique pernicieuse. Des mots jugés blessants ont été éradiqués des titres et du contenu de certaines œuvres littéraires et des professeurs ou des journalistes furent ostracisés pour avoir prononcé ce mot dorénavant maudit commençant par la lettre « N ». Ce n’était là, hélas, que le début d’une longue « chasse aux sorcières », expression, j’en suis convaincu, que certains me reprocheront d’avoir utilisée…

Afin de combattre le spécisme, des associations de défense des animaux sont allées jusqu’à condamner les expressions dans lesquelles se retrouvent des connotations négatives à l’endroit des animaux. Traiter un individu de « poule mouillée » ou de « tête de cochon » ne ferait que renforcer le mythe selon lequel les humains sont supérieurs aux autres animaux en plus d’être oppressif à l’endroit de ces derniers.

Brandissant leurs nouvelles tables de la loi, les apôtres de la grande révolution culturelle 2.0 réussirent à faire annuler des conférences dans des universités, de même que différentes représentations théâtrales, sous prétexte d’appropriation culturelle ou de propos impurs, alors que d’autres, réévaluant l’histoire à la lumière de leurs sentiments érigés en étalon de mesure, se donnèrent comme mission de déboulonner et parfois même de décapiter plusieurs statues.

Ce grand mouvement d’autoflagellation, que je résume ici à grands traits, a connu son paroxysme dernièrement lorsque des universitaires américains, pourtant spécialistes de l’Antiquité, entreprirent de mener une croisade pour limiter ou même abolir l’enseignement de l’héritage gréco-romain en accusant les classiques d’être complices du suprémacisme blanc et à l’origine du fascisme, du racisme, du colonialisme, de l’esclavagisme et de la misogynie qui ont imprégné ou imprègnent encore les sociétés occidentales.

L’amputation de la période portant sur l’Antiquité gréco-latine dans le cours d’histoire de la civilisation occidentale au cégep participe d’ailleurs de cette même volonté de couper les liens avec un passé que certains jugent embarrassant et nauséabond.

La victime sacrificielle

Sous quels dénominateurs communs pourrions-nous regrouper toutes ces manifestations de censure, de bien-pensance, d’auto-correction obsessive et de révisionnisme historique ? Je dirais sous celui de la faute originelle mais aussi de la mauvaise conscience et de la recherche d’un bouc émissaire.

Surexploitation des richesses naturelles, dégradation des écosystèmes, réchauffement planétaire, extinction de milliers d’espèces, surpopulation, pauvreté, discrimination de toutes sortes à l’endroit de différentes minorités – et maintenant cette pandémie qui s’abat sur nous à la manière d’une nouvelle plaie d’Égypte !

Le sort de la planète et de l’espèce humaine n’a jamais été aussi problématique et incertain. Face à ce tableau plutôt déprimant, comment reprocher à l’observateur qui jette un regard lucide sur notre civilisation d’être pessimiste et très critique !

Normalement, une approche globalisante et universaliste tenterait de comprendre par quels travers anthropologiques, politiques ou sociologiques l’humanité en est venue à se précipiter tout droit vers le gouffre qu’elle a elle-même creusé. Toutefois, dans la société atomisée qui est la nôtre où chaque clan, groupe de pression ou minorité s’érige en victime du système, le responsable de tous les malheurs qui accablent l’humanité demeure toujours l’autre. Cette posture d’auto-victimisation donne évidemment bonne conscience à ceux qui la prennent tout en ayant l’avantage de les présenter comme des êtres vertueux aux mains toujours propres.

Mais ce qu’il y a encore de plus malsain dans cette approche, c’est qu’une fois que tous ces groupuscules ont trouvé leur niche identitaire pour se marginaliser et se disculper face à tout ce qui ne tourne pas rond dans ce bas monde, voilà qu’est construit et ensuite ciblé le bouc émissaire par excellence en la personne de l’homme blanc, de préférence hétérosexuel. Ainsi, après avoir été présenté comme l’être le plus ignoble qu’a connu l’humanité, ce suppôt de Satan sera traîné dans la boue et crucifié sur la place publique afin que le Monde soit enfin purifié de tous ses péchés un peu de la manière qu’a voulu le faire le Nazaréen dans cette autre fiction deux fois millénaire.

Le péché originel

Dans le récit du mythe adamique que l’on retrouve dans la Genèse, il est intéressant pour notre propos de rappeler cette petite anecdote : lorsque Dieu interroge Adam pour savoir s’il a goûté au fruit interdit de l’arbre de la connaissance, ce dernier, pour se déculpabiliser, n’hésite pas à accuser Ève d’être la grande responsable de cette terrible faute. Tenant compte de cette mesquine délation, le Créateur condamnera la première des femmes – ainsi que toutes celles qui suivront – à enfanter dans des douleurs atroces ainsi qu’à devoir obéir pour toujours à sa douce moitié.

Que ce soit l’homme blanc à notre époque qui soit cloué au pilori afin d’expier les péchés de l’ensemble de l’humanité peut à tout le moins être vu comme un ironique retour du balancier…

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