J’ai entendu, comme quiconque s’intéresse un tant soit peu au monde des idées, une ribambelle de penseurs jouer aux psychologues du peuple depuis un an. J’ai entendu par exemple le penseur Boris Cyrulnik nous expliquer la différence entre une crise et une catastrophe d’abord. Nous serions dans la deuxième situation, par où il est impossible de revenir à comment c’était avant, et je l’ai entendu ensuite nous vendre sa salade de la résilience encore et encore, et l’idée qu’il faille faire sens de toutes ces souffrances, mais diantre que tout est simple quand on le veut.

Les yeux écarquillés, j’ai lu Boucar Diouf laisser entendre que la nature nous aurait en quelque sorte envoyé intentionnellement la COVID-19 pour nous punir, pour nous remettre à notre place dans la modestie, pour remettre les préoccupations environnementales au centre, dans une religiosité plus ou moins nommée. Une nature qui a des intentions cohérentes, disons-le clairement, c’est une autre façon de nommer Dieu, et c’est inadmissible dans le discours public. C’est énorme d’implications métaphysiques injustifiées et ça n’a pas sa place dans le Québec moderne.

J’ai entendu ce héros de la gauche, Alain Deneault, blâmer le capitalisme, quelle surprise, et je me souviens encore de l’écouter en entrevue nous dire sans broncher il y a un an que tout ça, ce n’était rien, qu’il y avait bien pire à venir, les clairons des chevaliers de l’apocalypse, rien de moins.

J’ai entendu François Legault, encore et encore, chercher à rallier les brebis du peuple, instaurer un couvre-feu, et une ribambelle de commentateurs opiner du bonnet en affirmant que cette mesure envoyait un « signal fort » à la population, oui, c’est sérieux, si les milliers de morts ne vous convainquent pas, alors vous comprendrez quand vous ne pourrez pas aller acheter une pinte de lait à 20 h 30.

Le premier ministre explique les choses par symboles codés au lieu de faire ce que la science demande, nous en sommes là.

J’ai entendu tous ces messieurs, ces vieux sages guides du peuple, regardés avec l’étincelle à l’œil par leurs intervieweurs, comme si nous étions en l’an 40, et j’ai nagé avec eux dans les eaux douces de leurs métaphores empilées, j’ai écouté tous ces vieux sages en me disant : non, ce n’est pas possible, ça ne peut être ça, la philosophie en 2021, un vieux sage qui nous réconforte dans les temps difficiles.

Ceci n’est pas une crise, ce n’est pas une catastrophe, ce n’est pas occasion de résilience et de sens, ce n’est pas un message de la nature, ce n’est pas une preuve de l’échec du capitalisme, ce n’est pas l’occasion de confirmer les théories de Michel Foucault sur le gouvernement et son contrôle du corps. Ceci est un virus. Pour le contrer, il faut porter un masque, se laver les mains, rester à distance les uns des autres et bien aérer les espaces intérieurs fréquentés en groupe. Point à la ligne.

Avec la deuxième année de la COVID-19 qui est maintenant bien entamée, les discours de l’effort s’effritent. Ceux-ci soutenaient, en remplaçant le langage de la solidarité par celui de la sueur au front, que ceux qui se forçaient seraient récompensés. L’idée de cohésion du peuple pris dans son ensemble avait fait son temps, au tournant de 2021, maintenant on convainquait par petits bouts la nation. Allez hop, bien travaillé, Québec, en zone orange, reposez-vous maintenant. Oups.

Mais les métaphores et la psychologie à cinq sous ne passent plus, il suffit de regarder les caricatures des journaux et leur fiel renouvelé ces derniers jours pour le constater.

L’heure est au réalisme. Monsieur le Premier Ministre, vous n’êtes pas psychologue, vous êtes homme d’affaires. Liberté 45, n’est-ce pas ? Ironique tout de même, vous semblez de plus en plus prisonnier de votre fonction, ces derniers temps, en sandwich entre le DHoracio Arruda et le ministre Christian Dubé, contraint à réaffirmer que vous vous assumez dans vos décisions. Que vous ayez à l’affirmer m’effraie.

Il faut revenir à la base, M. Legault, à la science, et rien d’autre. Aérez les écoles et les lieux de travail, ça presse. Et puisque vous y êtes, réglez donc les conventions collectives des profs et des travailleurs de la santé. Ils se foutent de vos métaphores angéliques, eux aussi : ils veulent de meilleures conditions de travail et de plus grosses paies, comme tout le monde ; comme vous alors que vous vendiez des avions. Impossible de s’envoler dans les nuages et les symboles forts, impossible de fuir dans le réconfort des paroles sages. Agissez.

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