« Je le crois », a carrément répondu Joe Biden à un journaliste qui lui demandait si Vladimir Poutine était un tueur, le président américain ne craignant pas de crâner : « Vous verrez bientôt le prix qu’il va payer. »

On ne change pas à 78 ans. C’est pourquoi cette erreur de jugement de celui sur qui reposent tant d’espoirs après la dérive Trump ne laisse pas de susciter l’inquiétude, dans le contexte de la tension entre les États-Unis et une Chine de plus en plus agressive.

N’en déplaise à ceux qui confondent morale et politique, s’il est un domaine où toute vérité n’est pas bonne à dire, c’est bien celui de la politique internationale.

L’idée n’est donc pas de savoir si Vladimir Poutine est un tueur ou pas, mais bien de juger s’il était opportun de s’attaquer à ce point au plus haut dirigeant de la Russie.

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Vladimir Poutine et Xi Jinping lors d’un sommet des pays du BRICS, au Brésil, en 2019

Si M. Biden ne veut plus avoir de relations avec les dirigeants étrangers qui ont des crimes à se reprocher, Washington risque de se vider rapidement de ses ambassades, entre autres celle de la Chine de Xi Jinping, où le génocide en cours à l’égard des Ouïghours apparaît sans commune mesure avec ce qu’on reproche au tsar russe du moment.

Comment Biden pourra-t-il entretenir des relations avec quelqu’un qu’il a qualifié de tueur ? Or si la Russie n’a plus la puissance de l’URSS d’antan, elle ne s’est pas transformée en puissance insignifiante pour autant, avec son arsenal nucléaire, son siège au Conseil de sécurité de l’ONU, un territoire immense, des ressources énergétiques dont l’Europe a besoin, sans oublier son vaccin contre la COVID-19 (!).

Sans oublier surtout le phénomène Poutine lui-même. Depuis 20 ans, le président russe s’est incontestablement révélé l’un des chefs d’État les plus doués de la planète, réussissant à positionner son pays bien au-delà de sa force intrinsèque sur cette scène internationale qui intéresse avant tout ce Russe nationaliste.

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Le président Joe Biden

Qu’il apparaisse de plus en plus prisonnier d’une dérive répressive et corrompue ne change pas le fait que Poutine constitue un facteur avec lequel les Américains doivent composer dans le monde, au Moyen-Orient, en Libye, dans le Caucase, en Ukraine.

Crimée

L’Ukraine demande toujours aujourd’hui la protection de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) contre son voisin russe. Lors de l’effondrement de l’URSS, il avait été question de l’incorporation à l’OTAN de l’Ukraine, pourtant historiquement au cœur de la zone d’influence russe, sans égard pour une Russie alors au plancher, mais favorablement disposée envers l’Occident et la démocratie, comme Poutine lui-même le fut au début de son règne.

Critiqué pour des raisons surtout économiques jusqu’à l’affaire Navalny, ce dernier jouit de la reconnaissance d’un grand nombre de Russes pour avoir récupéré la Crimée, symbole de la restauration de l’honneur de leur patrie humiliée.

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Vladimir Poutine participant à un grand rassemblement tenu jeudi dernier à Moscou pour marquer le septième anniversaire de l’annexion de la Crimée par la Russie.

Rappelons que, partie intégrante de l’empire russe depuis Catherine la Grande au XVIIIsiècle et peuplée majoritairement de Russes, la Crimée n’a été attribuée à la république soviétique d’Ukraine qu’en 1954.

Cela semble malheureusement trop demander aux responsables américains que de s’intéresser à l’histoire des autres nations.

Le caractère très autocentré de cette immense île entre deux océans que sont, en quelque sorte, les États-Unis, leur a fait commettre bien des erreurs depuis un demi-siècle.

On pense évidemment à la folle invasion de l’Irak, mais également à cette pitoyable gestion de la chute de l’URSS, empire nucléarisé dont la désagrégation aurait pu ensanglanter l’univers, mais qui se fit pacifiquement, la Russie ne demandant qu’un minimum de respect que les États-Unis ne lui accordèrent pas.

Chine agressive

Joe Biden doit maintenant tenir compte du fait que le grand adversaire de son pays, désormais, n’est pas Poutine, dont il aurait dû essayer de se faire un allié circonstanciel, mais bien l’implacable Chinois Xi Jinping.

Hong Kong, les Ouïghours, la mer de Chine méridionale. En attendant, possiblement, Taiwan, au sujet duquel une vraie guerre pourrait éventuellement éclater entre les États-Unis et la Chine — qui devient dangereusement agressive dès qu’il est question de ce qu’elle considère être son territoire national.

Un des drames de notre époque, c’est la méconnaissance du reste de la planète par les deux superpuissances qui s’en disputent l’hégémonie. Car pas plus que les États-Unis, la Chine ne connaît véritablement le reste du monde, elle qui s’est traditionnellement vue comme « le monde », ce qui n’est pas étranger à ses dérives diplomatiques actuelles.

Et le Canada là-dedans ? Après s’être fait avoir par Donald Trump dans l’affaire des sanctions contre l’Iran ayant mené à l’arrestation de Meng Wanzhou et à la prise de Canadiens en otages, on vient d’annoncer, parallèlement à la déclaration de Joe Biden, de nouvelles sanctions contre la Russie au sujet de la Crimée.

Chien de poche un jour, chien de poche toujours.

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