Le livre de Denis Coderre, Retrouver Montréal (Les Éditions La Presse), à paraître sous peu, n’est plus un secret. J’ai eu le privilège de le lire avant publication. Je me permets donc de donner ma réaction à l’ouvrage, quelques mots sur ce qu’il nous révèle, sur l’homme et sur ses idées.

D’entrée de jeu, je dois faire une double confession : j’ai aimé ce bouquin et j’ai été surpris de l’aimer. Avant la lecture, comme beaucoup de Montréalais, je connaissais seulement le personnage public. Or, Denis Coderre est manifestement passé par un difficile voyage personnel (nous savions qu’il avait perdu du poids), histoire qu’il relate sans gêne dans les premières pages. On n’a pas l’habitude de trouver ce genre d’aveux, de tels moments d’introspection, chez des personnalités politiques, encore moins venant d’un homme politique qui, par le passé, a plutôt affiché une image de gros dur (on se rappellera son « There is a new sheriff in town » de 2014).

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Retrouver Montréal, de Denis Coderre

Denis Coderre a-t-il changé ? Je me suis peut-être laissé prendre par les sentiments et par ses talents de communicateur. Le livre est très bien écrit et, on le sent, avec passion et émotion. Toujours est-il que le portrait qui en ressort n’est pas celui du maire cowboy souvent projeté par les médias. J’ose penser que c’est le vrai Denis Coderre que nous y découvrons, tout en reconnaissant aussi ses habilités (nécessaires comme maire) de politicien et de batailleur. Le fait qu’il aime passionnément sa ville se devine aussi dès les premières lignes, le fait qu’il aimerait redevenir maire, évidemment. En politique, comme dans la vie, ça prend souvent une défaite pour mieux avancer.

Que nous propose alors Denis Coderre pour Montréal ?

Il n’est pas possible, dans un court texte d’opinion dans La Presse, de tout commenter. L’ouvrage fait plus de 300 pages. C’est beaucoup plus qu’un simple pamphlet politique. Développement économique, mobilité, logement, culture… tout y passe. Denis Coderre a visiblement employé ses années d’exil à réfléchir et à apprendre. Au-delà de toute considération de politique partisane, qu’on soit d’accord avec les idées de l’auteur ou non, l’ouvrage vaut la peine d’être lu par toute personne qui s’intéresse à l’évolution économique et sociale de Montréal. J’ai appris des choses. Denis Coderre est un bon pédagogue (c’est un professeur qui parle) : voici une autre surprise.

Cependant, ce que je retiens surtout de ma lecture, c’est l’ordre des priorités. D’autres lecteurs, selon leurs intérêts, prêteront sans doute plus attention aux transports ou encore à la culture (chacun de ces thèmes fait l’objet d’un chapitre). Mais c’est la place que Denis Coderre accorde à ce que j’appellerai la cohésion sociale qui, du moins pour ma part, constitue la grande surprise. Son premier chapitre, qui fait plus du tiers de l’ouvrage, s’intitule « Vivre ensemble : l’incontournable destin de Montréal ». Le sujet du vivre-ensemble, sous différentes formes, revient continuellement dans les pages du livre. La cohabitation pacifique des Montréalais de toutes origines et de toutes classes constitue pour Denis Coderre, le lecteur l’aura compris, le grand défi de la ville et, en parallèle, la première responsabilité de tout maire, opinion que je partage.

Ce n’est pas tant l’importance que Denis Coderre accorde au vivre-ensemble qui surprend que la façon très personnelle dont il aborde le sujet.

On apprend aussi, dans ce premier chapitre, qu’il a grandi à Montréal-Nord, ce qui nous aide à comprendre beaucoup de choses, et que, comme ministre fédéral, il a déjà agi comme interlocuteur des autochtones hors réserve dans le dossier du scandale des pensionnats autochtones. Il est, visiblement, en terre connue. Avec une franchise qui étonne, il fonce sur des sujets que d’autres auraient fuis. Il n’hésite pas à employer des termes comme profilage, génocide culturel et (oui) racisme systémique. Dans ce premier chapitre, il consacre 10 pages à la lutte contre l’itinérance, 12 pages aux questions de racisme et de discrimination et encore 10 pages aux relations entre police et communauté.

Parmi ses multiples propositions sous le thème du vivre-ensemble, pour ne prendre que deux exemples, Denis Coderre plaide en faveur d’une meilleure intégration du travail des corps de police et des travailleurs sociaux, ainsi que pour l’incorporation formelle de représentants des nations autochtones dans des instances politiques de la Ville. Il plaide aussi pour un meilleur rapprochement entre les instances scolaires et la Ville, en préconisant notamment un transfert du parc immobilier scolaire, proposition qui fera sans doute des opposants. Il reste que la manière Coderre d’aborder les questions sociales est éminemment pragmatique ou, si l’on préfère, non idéologique. Certains y verront une qualité, d’autres un défaut (je suis plutôt du premier clan). Ainsi, en matière de politiques du logement, Denis Coderre est plus réticent que l’administration actuelle à employer la voie réglementaire (qui se révèle souvent un couteau à double tranchant) pour assurer l’abordabilité du logement.

Autre trait distinctif qui tranche avec l’administration actuelle est l’importance accordée au volet proprement métropolitain, à la place de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), que Denis Coderre veut, visiblement, revaloriser.

Le vivre-ensemble version Coderre ne s’arrête pas aux frontières de la ville. Il commande aussi une meilleure coordination des politiques des 82 municipalités de toute la région, que ce soit en matière de logement, de transports ou d’aménagement du territoire ; là encore, autre opinion où je rejoins Denis Coderre. Il faut renforcer les structures régionales. Cependant, on le devine, le retour d’un président fort à la tête de la CMM ne sera pas forcément accueilli avec enthousiasme par tous les maires de la banlieue. Denis Coderre salue l’arrivée de l’Autorité régionale de transport métropolitain, dont il a été l’un des partisans, qui avait précisément pour objectif de mieux coordonner et planifier les transports à l’échelle régionale. Il accorde plus de 20 pages (cartes et plans à l’appui) aux infrastructures de transports. Denis Coderre salue aussi le modèle de financement du REM, en mettant de l’avant l’idée d’obligations vertes pour financer des projets futurs. Cependant, il reste étonnamment muet sur sa vision d’avenir de gouvernance régionale en matière d’infrastructures de transports, oubli d’autant plus étonnant que le rôle de CDPQ Infra dans le projet d’extension du REM vers l’Est fait actuellement l’objet d’un vif débat.

Ce livre étonnant ne fera sans doute pas l’unanimité. Mais, l’on ne peut pas accuser l’auteur d’avoir perdu son temps pendant ses quatre années d’exil politique. Une chose est sûre, on ne s’ennuiera pas si Denis Coderre redevient maire.

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