Une histoire de famille au temps de la COVID-19

Elle s’appelle Fay. Elle est originaire d’Érythrée, un pays du nord-est de l’Afrique, près de l’Éthiopie. Ça, c’est Google qui me l’a dit.

Fay méritait au moins que, faute d’être douée en géographie, je m’instruise et que je comprenne d’où elle venait. En fait, Fay mérite beaucoup plus. Elle mérite tellement que, à défaut de savoir comment le lui exprimer, j’ai choisi de lui rendre hommage dans cet écrit.

Paradoxalement, sachez déjà que je ne l’ai même jamais rencontrée. Je sais seulement qu’elle s’appelle Fay, qu’elle vient d’Érythrée et qu’elle m’a inspirée.

J’ai appris son nom et ses origines par ma mère, proche aidante, qui la côtoie à la résidence intermédiaire où ma grand-mère vit depuis un an. Fay prend soin de grand-maman, tous les jours, de 8 h à 18 h, depuis cinq mois.

Si vous m’avez bien suivie, cela fait 365 jours que ma grand-mère a été retirée de son foyer, déclarée inapte à vivre seule. Parallèlement, il s’est aussi écoulé un an depuis l’arrivée officielle de la COVID-19 dans le « train-train » du Québec.

Imaginez donc votre grand-mère de 90 ans, atteinte de démence mixte, accueillie dans son nouveau milieu de vie avec une mise en quarantaine et une interdiction de visites. Non. En fait, n’essayez même pas de l’imaginer. Vous n’y verriez que le pire. Ce n’est pas l’objectif de cette histoire.

Ainsi, depuis le début de la pandémie, ma mère est la seule personne autorisée « chez » ma grand-mère, pour des raisons humanitaires. Elle nous rapporte que grand-maman perçoit ce qui devrait être « sa maison » comme une prison. Le manque de stimulation et l’isolement accélèrent la progression de sa maladie à vitesse grand V.

Grand-maman ne parle pratiquement pas. Elle ne bouge pas vraiment non plus. Un jour, elle a fait une chute et s’est fracturé la hanche. On explique à ma mère que la convalescence sera longue, mais qu’on ne la laissera pas tomber. Grand-maman aura donc droit à de l’« intensification », c’est-à-dire qu’un préposé aux bénéficiaires désigné l’accompagnera dans ses activités quotidiennes, pendant la durée de son rétablissement.

Voilà que Fay entre dans nos vies.

Comme je vous l’ai dit, je ne l’ai jamais rencontrée. Je ne connais d’elle que ce que ma mère me raconte.

Concrètement, je connais son prénom, son pays d’origine et je sais qu’elle travaille pour le CISSS de Laval. Pourtant, j’ai l’impression d’en savoir tellement plus.

J’ai l’impression qu’elle fait partie des « miens ». Je présume me sentir ainsi parce que tous les jours j’entends parler d’elle. Tous les jours, sans même le savoir, Fay trouve un moyen de me réchauffer le cœur, de m’émouvoir, de m’inspirer par sa bonté.

Fay n’est pas seulement préposée aux bénéficiaires du CISSS de Laval. Fay est la personne qui, depuis cinq mois, soutient les femmes les plus importantes de ma vie : ma mère, désormais proche aidante, et ma grand-mère, arrivée à une autre étape charnière de l’existence – la fin.

Fay n’est pas seulement une travailleuse de la santé. Fay est aussi la personne présente à la place des « autres ». Vous savez, ceux qui n’ont plus le droit d’être là : le gendre, la bru, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants – eux, nous, moi. Fay est l’extension des caresses et des encouragements que l’on souffle à grand-maman en pensée. Elle est l’expression de notre « présence–absente ».

On répète sans arrêt que les soignants de première ligne portent notre système de santé à bout de bras. Je pense que c’est encore trop peu dire. Certains deviennent même des « proches de circonstance », « une fratrie temporaire », un véritable symbole familial servant de repère en ces temps de crise.

Bien que la COVID-19 m’ait enlevé le droit d’accompagner ma grand-mère dans la maladie, cette calamité n’aura pas fait que prendre. Heureusement, au milieu de l’urgence sanitaire, un nouveau concept porteur d’espoir émerge pour moi, celui de « famille symbolique ».

Une famille de conjoncture, apaisante, qui donne l’impression d’être béni même au milieu du chaos.

La mienne, elle s’appelle Fay.

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