L’auteur s’adresse au premier ministre François Legault

La semaine dernière, le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, confirmait que votre gouvernement s’opposait à l’adoption du Principe de Joyce parce que la Coalition avenir Québec (CAQ) refuse toujours de reconnaître l’existence d’un racisme systémique au sein du système de santé provincial.

Mercredi, Benoit Charette, ministre de l’Environnement, nommé nouveau ministre responsable de la lutte contre le racisme du gouvernement du Québec, n’a pas tardé à nier l’existence du racisme systémique ! Ça ne s’invente pas.

Quelques instants avant sa mort, en septembre 2020, Joyce Echaquan, une femme atikamekw de la communauté de Manawan, a subi un traitement raciste et sexiste d’une rare brutalité aux mains des personnes qui étaient chargées de la soigner à l’hôpital de Joliette, et ce, pour la seule et unique raison qu’elle était une femme autochtone.

Le refus obstiné du gouvernement de la CAQ d’adopter le Principe de Joyce est exaspérant. Exaspérant, mais pas complètement surprenant. Après tout, vous niez activement l’existence du racisme systémique depuis plusieurs années. Ce positionnement idéologique, qu’une myriade de faits empiriques et d’études scientifiques rend pourtant intenable, n’est pas seulement malhonnête, il est aussi préjudiciable, car le racisme systémique cause des souffrances inutiles et, dans les cas extrêmes, tue.

Au cours de ma formation médicale et en tant que pédiatre urgentiste, j’ai eu à prodiguer des soins à des dizaines de milliers d’enfants.

Comme de nombreuses personnes qui travaillent en première ligne dans le système de santé, je peux non seulement confirmer que le racisme systémique est bien présent dans cette province et dans le reste du pays, mais aussi qu’il cause des préjudices évitables.

Dans mon livre, Plus aucun enfant autochtone arraché : pour en finir avec le colonialisme médical canadien1, j’ai voulu dépasser mes expériences personnelles pour examiner une pratique de longue date qui consistait à empêcher systématiquement les proches d’accompagner leurs enfants lors des évacuations aéromédicales d’urgence, pratique qui touchait de manière disproportionnée les communautés Eeyou (Cries) et Inuit des régions nordiques du Québec. Plusieurs mois avant que la campagne #TiensMaMain soit lancée, en janvier 2018, et bien avant que cette campagne porte enfin ses fruits, un collègue chercheur-clinicien, Québécois comme moi, m’avait expliqué pourquoi, à son avis, cette pratique s’était perpétuée aussi longtemps : « Malheureusement, la cause fondamentale du problème, c’est le racisme systémique. »

En effet, en prenant comme étude de cas la pratique draconienne des évacuations aéromédicales au Québec, mon livre expose les crimes génocidaires perpétrés contre les enfants autochtones par le système de santé au Canada, avec des médecins souvent menant la charge : les épidémies de variole fomentées et les morts évitables causées par la tuberculose, les expérimentations médicales et les mauvais traitements infligés dans les pensionnats, les « hôpitaux indiens », les réserves et les communautés, les stérilisations forcées, les enlèvements et les disparitions dans le système de soins, etc.

Mon livre, qu’un éditeur universitaire réputé a soumis à un processus rigoureux et anonyme d’évaluation par les pairs, s’appuie sur un grand nombre de sources, dont la Commission royale sur les peuples autochtones, la Commission de vérité et réconciliation du Canada, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, et la Commission Viens, ainsi que de nombreux ouvrages historiques académiques.

Monsieur le Premier Ministre, vous faites activement la promotion d’un livre qui déplore la prétendue régression de la « liberté d’expression » au Québec. Motivé par votre souci pour la « liberté académique », vous avez même récemment affirmé sur les médias sociaux qu’une « poignée de militants radicaux essaient de censurer certains mots et certaines œuvres ».

J’ai pour ma part été choqué, au fil de mes recherches, de constater à quel point certains des travaux historiques critiques qui m’ont servi de sources sont exclus des programmes de formation médicale et de pratique professionnelle.

Cette forme de censure institutionnelle est bien commodément ignorée par ceux qui sont prompts à se poser en victimes d’une censure qu’opéreraient des « radicaux » qui, en réalité, n’ont que très peu de pouvoir et qui se prévalent simplement — et souvent au risque de leur réussite académique — de leur liberté d’expression, y compris le droit de dénoncer les injustices de longue date.

Vous vous targuez d’accorder une grande importance à la lecture, ce qui est tout à votre honneur. Maintenant que mon livre a été traduit en français, je vous invite à le lire, en portant une attention particulière aux contributions éloquentes de Cindy Blackstock (préface) et d’Ellen Gabriel (postface). Une fois instruit de la grande portée des violences médicales infligées aux enfants autochtones au Québec et au Canada, une réalité qui est d’ailleurs curieusement absente de nos livres d’histoire, personne ne peut continuer, de bonne foi, à nier l’existence du racisme systémique dans notre système de santé.

Ce débat n’est pas sémantique ou symbolique ; il a des conséquences tangibles sur des vies humaines. Les peuples autochtones, y compris les enfants, continueront à souffrir inutilement des pratiques politiques et des lois coloniales si nous ne travaillons pas tous ensemble pour mettre fin au racisme systémique dans les soins de santé.

Mettre en œuvre le Principe de Joyce, qui valorise l’autonomie et l’autodétermination des peuples et des communautés autochtones en matière de santé et de services sociaux, est primordial pour atteindre ce but.

Peu après le lancement de la campagne #TiensMaMain, une ancienne résidente en pédiatrie m’a écrit pour me confier son soulagement de savoir qu’une démarche était enfin entreprise pour contester le statu quo : « Je ne compte même plus le nombre de fois où, pendant ma résidence, je me suis trouvée dans une situation où cette politique touchait un enfant que je soignais. Nous savions que c’était la règle, nous savions que c’était horrible, et pourtant nous continuions comme si de rien n’était. »

Même si, en réponse à la campagne #TiensMaMain, la règle de non-accompagnement a enfin été remplacée par une politique centrée sur les enfants à travers le Québec, des inégalités et des injustices touchant les communautés autochtones persistent encore aujourd’hui dans le système de santé. Monsieur Legault, nous ne pouvons plus simplement « continuer comme si de rien n’était ».

Tous les droits d’auteur issus de la vente du livre sont versés à des organismes de soutien aux enfants et aux jeunes autochtones et à leur collectivité.

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