Plusieurs journalistes rapportent, avec raison, des situations dans lesquelles des professeurs d’université ont été confrontés aux réactions parfois virulentes d’étudiants, lorsqu’ils ont abordé des problématiques identitaires ou sociales et des livres utilisant des mots ayant une lourde signification discriminatoire. Pourtant, plusieurs questions se posent…

Seulement les jeunes ?

J’ai donné une conférence, il y a 18 mois, dans un colloque réunissant des professionnels de la santé et des universitaires. On m’avait donné deux mandats, dont celui de présenter des données en neurosciences qui expliqueraient pourquoi, à 4 ans, la moitié des garçons, mais seulement le cinquième des filles, se caractérisent par des vulnérabilités développementales.

Certaines personnes revendiquent l’idée que les cerveaux sont identiques. Elles font fi de découvertes scientifiques qui montrent, par exemple, que si les câblages sont éventuellement similaires, les hormones vont prioriser certaines voies nerveuses au détriment d’autres. Ce n’est pas noir ou blanc. C’est une question de processus biologiques induisant un continuum entre deux pôles de comportements distinctifs.

Durant l’exposé, deux dames énervées sont sorties pour se plaindre aux organisatrices… qui leur ont gentiment répondu que je faisais exactement ce qui m’avait été demandé. C’est ce que, d’ailleurs, les recteurs devraient faire : soutenir les professeurs et la liberté universitaire !

Je n’ai aucun ressentiment. Elles doivent avoir un vécu qui explique leurs réactions, comme les étudiants d’aujourd’hui. Ce n’est donc pas une question d’âge. Les adultes, universitaires ou non, ont aussi leurs compréhensions, rigidités ou biais cognitifs.

Un deuxième exemple, mais je pourrais vous en raconter une dizaine : il y a cinq ou six ans, je participais à un panel où je devais discuter des « bascules de l’esprit » qui expliquent comment l’enfant plein de potentiel peut devenir un criminel effroyable. J’expliquais notamment comment, à un moment, cela devient impossible de revenir en arrière, car certaines zones du cerveau étaient « mortes », surtout celles associées à l’empathie.

Un prof de philo d’un cégep bien connu s’est offusqué. Pour lui, on peut « récupérer » tout le monde, même après un crime atroce. Il n’a pas tout à fait tort : on peut les aider à distinguer le bien et le mal. Toutefois, ces personnes sont plus sensibles à l’endoctrinement qu’au développement personnel, ce qui en fait d’ailleurs des personnes pouvant basculer dans l’intégrisme.

Puis-je lui en vouloir ? Non. Il m’a sèchement questionné et légitimement exposé ses théories. Pour en sortir, on peut échanger, discuter, dialoguer… Et c’est à l’enseignant de créer les conditions pour que cela se passe au mieux en classe, dans le couloir ou avec aide s’il aborde un sujet historiquement sensible.

Quelles responsabilités ?

Dans la presse, on dirait qu’on les présente en victimes. Pourtant, c’est un devoir de tout professeur, conférencier et motivateur : nous devons assumer la responsabilité de nos propos et stratégies pédagogiques en regard des réactivités des participants.

Si l’enseignant est en maîtrise, ces situations ne devraient pas donner lieu à tant d’émois. Avec bienveillance, il peut utiliser les réactivités pour documenter, nuancer et exposer les faits scientifiques ou les réalités sociales et littéraires.

On peut montrer l’évolution des pensées et des philosophies, tout en constatant leurs limites. C’est ça, enseigner à l’université.

Lorsque je parle des neurosciences, d’éthique ou d’émotions, le groupe va d’autant plus me tester que mes propos abordent des sujets sensibles pouvant remuer leur vécu, leur histoire, leur expérience. D’une part, ils ont besoin de sentir que le capitaine est solide. D’autre part, ils sont en droit de vérifier le degré d’intelligence émotionnelle pour accepter de vivre les émotions déclenchées par mes cours…

Souvent, le professeur est anxieux, car ce n’est pas toujours facile de se retrouver face à un auditoire. Ce défi peut éventuellement le sidérer face à l’étudiant provocant, voire le faire ignorer les réactivités de la classe. Constatant l’absence de dialogue, il se peut que l’étudiant partage son inconfort, contamine la dynamique du groupe et induise la nécessité, encore plus grande, de parler, de discuter, d’échanger… pour apaiser, voire guérir de situations humiliantes ou injustes.

C’est l’absence de dialogue qui pose problème… et c’est au professeur qu’il incombe de se préparer à cette nécessité. Il existe des stratégies pédagogiques pour gérer des groupes plus « émotifs ». C’est une question de gestion de classe.

Assez formés en pédagogie ?

Malheureusement, les professeurs universitaires sont souvent recrutés pour leur CV scientifique. Détenteurs d’un étincelant savoir, ils sont très rarement formés en psychopédagogie… Cela les fragilise dès leur entrée dans une salle de cours.

Certains seront brillants. Ils ont un talent naturel. Ils sont adorés, adulés. D’autres considèrent que l’enseignement est une perte de temps. Ce qui compte pour eux, c’est la recherche. Pourquoi, alors, ne sont-ils pas allés en entreprise ? J’en connais qui sont angoissés. Plusieurs en sont malades, d’autres utilisent des stratégies ingénieuses pour dealer avec leur stress. Mais tous ont la responsabilité d’aller se former.

À quoi sert l’enseignement ?

Enfin, on ne peut pas enseigner les domaines de l’expérience humaine qui sont porteurs de détresse comme on enseigne le cycle de Kreps. Et encore. Le temps où le professeur pouvait exposer son savoir sans se soucier de l’auditoire est révolu.

La jeunesse, aussi brillante et magnifique que nous l’étions à leur âge, ne permet plus un enseignement en double aveugle. Il y a 30 ans, un de mes profs nous disait que l’école n’apportait que 30 % des connaissances, alors que 70 % provenaient d’ailleurs.

L’enseignement universitaire, aujourd’hui, doit viser à organiser les connaissances pour que l’étudiant les utilise de manière constructive. Et le dialogue est essentiel pour des sujets sociaux ou personnels sensibles.

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