DÉLESTAGE, subst. masc. A. — Action de délester, d’enlever une charge, afin d’alléger quelque chose.

Cette semaine, j’ai lu la chronique de Patrick Lagacé, « Le voir, pour le croire ». Dans cette chronique, la Dre Amélie Boisclair cite qu’un déficit d’image de cette pandémie dans les hôpitaux est contre-productif dans la guerre sanitaire. Montrer les soignants et les soignés dans les hôpitaux serait bénéfique pour trois raisons, selon l’intensiviste : pour mobiliser les Québécois fatigués par les efforts sanitaires ; pour contrer la désinformation, propagée par des pollueurs numériques ; pour les soignants eux-mêmes.

Imaginez que vous êtes enseignant de math au cégep et qu’on vous demande d’enseigner la maternelle pour une période indéterminée… de nuit et les fins de semaine, et que vos vacances ne seront plus possibles.

Imaginez que vous êtes avocat en droit de la famille depuis 15 ans, et que pour une période indéterminée, vous devez faire du droit criminel.

C’est pas mal ce que nous vivons.

La profession d’infirmière est un métier aux maintes spécialités. Depuis le début de cette pandémie, le personnel de la santé est en mode délestage. Dans mon hôpital, cela veut dire que le personnel du bloc opératoire et des cliniques externes doit prêter main-forte aux unités de débordement. C’est simple, on déplace une infirmière d’un département et on la place temporairement dans un autre, même si les tâches sont différentes, les heures sont différentes, ainsi que la clientèle.

Voici un extrait d’un de mes textes, publié il y a quelques années, sur la beauté de la diversité de mon métier : « Il y a quelques semaines, j’ai dû me rendre dans la salle de réanimation accompagnée du gastro-entérologue. Il était question d’un homme en hémorragie digestive. C’est avec admiration que j’observais les infirmières de la salle à code administrer du sang et partir des protocoles capables de maintenir en vie ce patient. Ce fut à notre tour ensuite de faire notre travail et d’arrêter le saignement dans son estomac, un ulcère qui menaçait sa vie. Nous étions plusieurs infirmières dans cette grande salle qui n’auraient pu faire le travail de l’autre, bien que nous soyons compétentes dans nos spécialités. »

Les travailleurs de la santé sont résilients. Nous acceptons les difficultés de cette pandémie et comprenons la nécessité du délestage. Par contre, après neuf mois, une fatigue s’installe….

Avez-vous déjà entendu parler du backyard ultra ? C’est une forme de course ultra-marathon où les participants doivent courir consécutivement la distance de 6,7 km en moins d’une heure. Lorsque chaque tour est terminé, le temps restant dans l’heure est utilisé pour récupérer pour la course de l’heure suivante. Exactement une heure après l’heure de départ, les participants courent 6,7 km supplémentaires avec une fenêtre d’une heure pour le compléter. Ces boucles de distance sont répétées toutes les heures. La course se termine lorsque le ou les derniers coureurs concèdent ou échouent à terminer la distance dans le délai requis (60 minutes). En 2020, Courtney Dauwalter a complété 68 tours, donc 68 heures consécutives pour un total de 455 km.

Des images des soignants seraient bénéfiques pour vous faire croire ?

Cette course est l’image qui représente comment je me sens. Chaque semaine, un autre tour commence. Chaque semaine, il y a de moins en moins de participants.

Plusieurs sont en congé de maladie et d’autres sont tellement fatigués et découragés qu’ils démissionnent, même avec 20 ans d’ancienneté. Je ne les blâme pas… je les comprends.

Nos équipes riches d’expérience s’appauvrissent…

Parmi le délestage, il faut assurer la garde en salle d’opération, des gardes qui sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus lourdes avec les précautions qu’entraînent ce virus et l’accumulation des chirurgies annulées. À cela s’ajoutent les courriels nous demandant d’aller aider un soir ou une nuit, faute de personnel. Avec une grande culpabilité, j’attends qu’on me l’impose car je suis fatiguée.

Ce matin, je suis allée courir. Au retour, j’ai levé le ton envers ma fille de 11 ans car elle s’est permis d’être un enfant et de prendre ça relax même si je lui ai demandé de faire son ménage. Ma réaction de colère a été exagérée. Heureusement, cela ne m’arrive pas souvent. En fait, je n’étais pas fâchée après elle. J’enviais son état zen. Cette colère surgit d’un trop-plein…

Lorsque je vois un article publié dans La Presse avec de tristes nouvelles et que je lis des commentaires de gens qui n’y croient pas encore, cette même colère surgit en moi. Je me demande si mes efforts servent à quelque chose.

Lorsque que cette vague s’estompera et que la vie recommencera, j’aimerais que tous les gens qui n’y croient pas réalisent qu’un autre combat débutera pour nous, infirmières, médecins, inhalothérapeutes, préposés aux bénéficiaires, préposés à l’entretien… Celui de rattraper tous les mois d’interventions chirurgicales annulées… avec un personnel réduit et fatigué. Nos vacances, l’été prochain, je n’y crois plus…

Alors, pour tous ceux qui ont hâte de reprendre une vie normale, on vous demande de patienter encore un peu et de nous croire que c’est difficile en ce moment.

J’aime bien la course, et j’aime bien les courses organisées, mais j’espère ne pas gagner cette course ultra car le gagnant est le seul restant ! J’espère qu’on tiendra tous le coup ensemble, grâce à vous.

> Lisez la chronique de Patrick Lagacé

> Lisez la chronique de Rima Elkouri sur le sujet

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