En réponse au texte d’Alain E. Roch, « Le malade ou le pauvre »*, publié le 1er novembre

« Mieux vaut être riche et en santé que pauvre et malade. » C’est cette boutade d’Yvon Deschamps qui m’est revenue en tête à la lecture d’un texte publié dans La Presse au début de novembre. L’auteur posait la question suivante : à quel moment les impacts économiques et les conséquences sociales des mesures de contrôle de la pandémie dépasseront-ils les effets de la COVID-19 elle-même ?

Sans remettre en question l’importance des mesures de prévention, l’auteur reprenait une thèse souvent entendue selon laquelle le remède pourrait s’avérer pire que le mal. Mais opposer le malade et le pauvre, la santé et l’économie repose sur de fausses prémisses qui nous mènent à un cul-de-sac moral.

D’abord, dans une très grande proportion, le malade est le pauvre. Lors de la première vague, nous avons vu les personnes en situation de pauvreté et les personnes racisées porter un fardeau disproportionné parmi les victimes.

Les causes sont bien connues. Ces personnes sont surreprésentées dans les emplois à risque, par exemple dans le secteur de la santé, dans les abattoirs et dans les commerces jugés essentiels. Ils vivent dans des quartiers où les conditions de logement et le manque de services favorisent la propagation de la maladie. Les populations racisées et défavorisées sont en première ligne, et ce sont elles qui sont les premières exposées à la transmission communautaire si nous négligeons la prévention. C’est en réponse à cet enjeu que de grandes fondations montréalaises – les fondations Trottier, Molson, Jarislowsky et Saputo – sont intervenues sur le terrain avec la Fondation du Grand Montréal pour prévenir les pires impacts d’une seconde vague.

La science nous enseigne également que le chemin le plus rapide pour relancer l’économie passe par un contrôle serré de la pandémie. Les experts de la Santé publique sont formels : nous devons éviter à tout prix de laisser le virus prendre l’avance sur nous. D’ici à ce qu’un vaccin permette un retour à une certaine normale, des mesures restrictives doivent demeurer en place, et des programmes gouvernementaux doivent soutenir les entreprises, particulièrement les PME, et l’ensemble de la population. Centraide, la Croix-Rouge et la Fondation du Grand Montréal ont à cet égard distribué des dizaines de millions de dollars à travers le Fonds d’urgence pour l’appui communautaire créé par le gouvernement fédéral. Ce n’est qu’un exemple du filet de sécurité sociale qui nous permet de protéger le malade et le pauvre. Il permet aujourd’hui d’atténuer l’impact économique des mesures sanitaires, et il permettra ainsi d’accélérer la relance.

Une fausse opposition

Une société prospère comme le Canada peut s’enorgueillir de ne pas être forcée de choisir entre le malade et le pauvre. Bien sûr, la pandémie aura fait trop de victimes, autant du virus lui-même que des victimes collatérales qui auront souffert des conséquences économiques ou des problèmes de santé mentale reliés au stress et à l’isolement. À quel moment les coûts à long terme des mesures de prévention de la COVID-19 dépassent-elles les gains à court terme ?

Pour répondre à cette question, il faudrait fixer un prix à chacune des vies humaines qui sont en jeu. Cette proposition est éthiquement intenable et c’est pourquoi il est préférable de ne pas poser la question en ces termes.

Opposer le malade et le pauvre est non seulement une proposition qui ne tient pas compte de la réalité des impacts de la COVID-19 sur les populations vulnérables, mais c’est également une équation qui brise la nécessaire solidarité qui doit nous animer alors que nous traversons les temps les plus difficiles depuis la Seconde Guerre mondiale.

Jusqu’à maintenant les plus riches d’entre nous ont réussi à traverser la pandémie sans en subir les pires impacts. Il peut être tentant de nous impatienter et de réclamer une réouverture plus rapide de l’économie. Mais nous ne pouvons pas prétendre le faire au nom des pauvres et des populations racisées qui continuent de composer avec un niveau de risque sanitaire bien plus élevé que le nôtre. L’année 2020 fait donc appel au meilleur de nous, au respect de la science, à notre empathie et à notre générosité.

Mieux vaut donc être riches et en santé, tous ensemble, que de laisser la maladie, et la pauvreté, s’abattre sur les plus démunis d’entre nous.

*Lisez « Le malade ou le pauvre »

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