« Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités », a dit l’oncle de Spider-Man.

Dans la foulée du débat autour de l’utilisation du mot commençant par N, les personnes revendiquant la liberté d'enseignement ont largement omis de considérer ce principe de superhéros.

J’en parlais récemment avec mon amie Sara Mathieu-C., cofondatrice de l’organisme Thèsez-vous, qui soutient la communauté étudiante aux études supérieures. Sara est aussi chargée de cours à la Faculté de l’éducation permanente de l’Université de Montréal. Son opinion : « L’enseignement est un procédé d’influence, voire de manipulation. »

« Manipulation » interprété de façon neutre ici, voulant dire que l’enseignement oriente de façon significative le parcours d’un ou d’une élève. Quelles sont les responsabilités qui résultent de ce pouvoir ?

Ça fait 19 ans que j’enseigne auprès d’enfants, d’adolescents et d’adultes. J’ai appris que montrer l’exemple de comportements positifs et instaurer un climat de confiance et de sécurité sont des ingrédients essentiels de l’enseignement.

En ce sens, la pertinence d’éliminer certaines pratiques est souvent tellement évidente qu’on n’en fait pas un débat. La vulgarité n’est généralement pas la bienvenue en classe. Et plus subtilement, certains symboles sont proscrits parce qu’on comprend bien leur impact social négatif.

À titre d’exemple, l’histoire de l’Holocauste est enseignée dans des milliers de classes au quotidien. J’ose imaginer qu’aucun enseignant n’oserait faire référence aux pratiques qui avaient cours à l’époque en effectuant physiquement la démonstration du salut nazi. La liberté d'enseignement n’en serait pas violée.

Justement, mon amie Sara me faisait remarquer que l’enseignant maîtrisant son art intègre une posture et connaît les procédés pédagogiques qui lui permettent de transmettre des connaissances de différentes manières tout en maintenant une connexion positive avec les élèves. Cela peut impliquer, justement, d’éviter certains mots ou gestes. C’est ça, enseigner.

Cette question m’interpelle puisque dans les derniers jours, l’attention collective accordée au droit des enseignants d’utiliser le mot commençant par N fut à mon avis disproportionnée par rapport au silence relatif face aux multiples histoires qui révèlent comment des enseignants font défaut d’honorer leurs responsabilités de base.

Une chance que des élèves de l’école secondaire Henri-Bourassa à Montréal-Nord ont dévoilé que Vincent Ouellette, enseignant en histoire, s’est réclamé de la polémique à l’Université d’Ottawa et ont dénoncé la manière arrogante avec laquelle il a prononcé le mot commençant par N durant un cours en ligne, se permettant de traiter de « cave » Dan Philip, le président de la Ligue des Noirs. Comment les élèves de la classe, dans une école largement composée de personnes noires et racisées, devaient-ils se sentir à ce moment-là ?

Pour le savoir, allez consulter la page Facebook des Béliers solidaires, un groupe d’anciens et actuels élèves de Henri-Bourassa. Ce groupe a documenté, en textes et en vidéos, de nombreux témoignages des gestes racistes de Vincent Ouellette. On y rapporte des doigts d’honneur, des propos xénophobes, des humiliations. Pis encore, semble-t-il que les comportements de M. Ouellette ont fait l’objet de plaintes depuis plusieurs années, au su du syndicat d’enseignants de M. Ouellette, de la direction d’école et de sa commission scolaire.

J’ai aussi été informé du cas de Stéphane Chalifour, professeur de sociologie au Collège Lionel-Groulx. Sur un forum en ligne du Collège, un débat fut lancé dans les derniers jours sur l’utilisation du mot commençant par N par Lowensky Junior Louis, un élève du Collège. M. Louis, un élève noir, tentait de faire valoir son point de vue sur l’impact négatif du mot commençant par N. Or, ses publications sur la plateforme ont été effacées, et s’en sont suivis des commentaires de M. Chalifour relayant des articles. M. Chalifour écrit : « [p]our instruire quelques inquisiteurs et coupeurs de tête » en lien avec un article, puis « [i]l s’agit d’un Nègre qui parle de l’histoire de ce mot » au sujet d’un autre article. Est-ce acceptable venant d’un professeur ?

Des histoires comme celles-là pleuvent depuis les derniers jours, et depuis des années également, sans qu’elles ne suscitent l’indignation collective.

Comment se peut-il que des enseignants se permettent de telles atrocités en toute impunité ? Selon moi, une horreur que des humains noirs, autochtones et racisés dénoncent sans que l’écoute y soit, à moins qu’on les voie mourir sur vidéo.

Mon cauchemar est accentué par le fait que notre gouvernement du Québec fait la sourde oreille.

Comment se fait-il que Geneviève Guilbault, ministre de la Sécurité publique, qui n’est même pas ministre de l’Éducation, s’est indignée de la polémique à l’Université d’Ottawa, en Ontario, en occultant la question du racisme ?

Comment se fait-il que pendant ce temps, face à tout ce qui précède, les coprésidents du Groupe d’action contre le racisme ne disent pas un mot ? À quoi sert ce Groupe s’il est silencieux, en ce moment, face aux enjeux de racisme dans l’actualité ?

Black Lives Matter ou non ?

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion