Les soins des amputés posent des défis importants aux soignants. La plaie du moignon est particulièrement sensible et peut le rester longtemps. La manipuler peut même, des années plus tard, provoquer des douleurs dites du « membre fantôme ».

Est-ce qu’on se refuse totalement à y intervenir ? Non ! Mais on y intervient le moins souvent possible, on prépare bien la personne, on y va doucement et on accompagne ensuite l’amputé jusqu’à la disparition des douleurs.

Le viol et l’inceste causent des traumatismes persistants chez la majorité des victimes. Leur évocation ravive souvent la souffrance et le visionnement d’images à leur propos, encore plus. Est-ce qu’on a complètement éliminé ces scènes des œuvres télévisuelles ? Non ! Mais on y recourt avec circonspection, on avise l’auditoire à l’avance et on fait suivre le visionnement de références à des ressources d’aide.

Pourquoi limite-t-on naturellement ainsi notre liberté de soins et de création ? Parce que nous sommes sensibles à la souffrance des autres, par compassion, par humanité. Parce que c’est ainsi qu’on s’attend que des humains traitent leurs semblables.

Quiconque prétend ne pas savoir que l’utilisation du « mot commençant par n » provoque chez des membres de la communauté noire des souffrances par réminiscence ou par association doit avoir passé les dernières années dans le coma.

Alors devrait-on bannir son usage du milieu universitaire ? Non ! Mais on doit y mettre les mêmes attentions. Y recourir avec parcimonie, quand c’est absolument requis.

Il est certain qu’un cours sur la sociologie de la négritude, sur l’histoire des États-Unis du XIXe siècle ou sur la littérature antillaise pourrait le justifier. Les étudiants s’y inscrivant s’attendent probablement à ce qu’il apparaisse dans le fil du cours. Mais il faut là aussi agir de la même façon, avec sensibilité, préparer l’auditoire, lui expliquer cette nécessité et agir avec tact et mesure. Et surtout, reconnaître et accompagner la douleur.

Reste que nous acceptons les limitations à la liberté de soigner et de créer parce que nous reconnaissons la validité de l’expérience subjective de la souffrance de l’autre. Cela semble parfaitement normal pour les soins de l’amputé et cette approche est même devenue une règle de soins qu’on enseigne. C’est peut-être un peu moins reconnu pour les scènes de viol, mais une majorité des productions acceptent et respectent cette règle morale.

Pourquoi, dans le troisième cas, est-ce si difficile d’accepter une limitation à la liberté d’enseignement ?

Pourquoi est-il plus difficile de reconnaître comme valide la souffrance de cette communauté ? De quel droit certains remettent même en question la véracité de cette souffrance et nient qu’on doive en tenir compte ?

Pourquoi traiter cette douleur différemment des deux autres ? Répondez, dans le secret de votre cœur, à cette simple question en toute candeur et honnêteté.

Si la liberté d’enseignement est un pouvoir tel qu’il nous dispense d’être empathiques, d’être humains, malgré 32 ans de ma vie avec une assignation universitaire, je suis prêt à y renoncer.

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