Dans une brochure imprimée sur du beau papier glacé, Hydro-Québec s’enorgueillit de ses partenariats de longue date avec les communautés autochtones.

Elle déclare « [chercher] à créer avec les communautés et nations des partenariats durables et mutuellement avantageux, basés sur le respect des valeurs et de la culture. Les communautés collaborent avec [elle] dès les premières étapes des projets et [les communautés et elle] veillent ensemble à assurer l’acceptabilité sociale des installations pendant toute leur vie utile* ».

Nobles ambitions. Malheureusement, dans le cas de la Nation innue du Labrador, Hydro-Québec n’a pas joint le geste à la parole.

Il y a plus de 50 ans, Hydro-Québec était l’élément moteur de la construction de la centrale électrique Churchill Falls et de l’inondation de nos terres ancestrales afin d’y créer un imposant réservoir s’étendant sur plus de 6500 km2. Pour la Nation innue du Labrador, la construction des barrages sur les chutes, l’inondation des lacs qui se trouvaient en amont de ces barrages et la construction de longs corridors de transmission et de chemins d’accès ont marqué la destruction de nos terres.

Ces actions ont considérablement porté atteinte à notre mode de vie et à notre culture. Elles ont aussi causé des préjudices aux caribous, aux castors, aux poissons et aux oiseaux qui font partie intégrante de notre identité et dont nous dépendons pour notre survie. Voici ce que déclarait à ce propos en 1999 Daniel Ashini, ancien Grand Chef aujourd’hui décédé : « Notre première expérience du développement industriel a été le projet de la centrale Churchill Falls. Nous n’avons jamais été consultés ou n’avons jamais reçu de compensation pour cette utilisation de nos terres — en fait, on ne nous a jamais dit que, sous le barrage, le fleuve Churchill serait réduit à un mince filet, que les chutes Churchill cesseraient d’exister et que le réservoir Smallwood inonderait pour toujours nos canots, nos campements, nos territoires de piégeage et de chasse ainsi que les lieux de sépulture de nos ancêtres. Avec deux archéologues et mon oncle, j’ai visité un site au bord du réservoir ; j’ai constaté que le réservoir avait provoqué l’érosion du sol et que les tombes de certains Innus étaient devenues visibles. J’avais auparavant personnellement entendu des membres de nos communautés raconter ce genre d’histoires, mais je n’avais jamais pris la pleine mesure de cette réalité avant de voir les lieux de mes propres yeux. J’ai été très triste de voir que ces tombes avaient été détruites, ce qui est tout à fait impardonnable, selon moi. »

Nalcor Energy, l’entreprise énergétique de Terre-Neuve–et–Labrador et le partenaire d’Hydro-Québec dans la construction de la centrale de Churchill Falls, a reconnu cette injustice et a conclu l’entente de réparation Upper Churchill, qui fait partie de l’entente New Dawn signée en 2011.

Par contre, au fil des ans, la Nation innue du Labrador a, à maintes reprises, exhorté Hydro-Québec à engager le dialogue. Toutefois, nos demandes ont été totalement ignorées.

Aussi, la Nation innue du Labrador demande maintenant aux tribunaux de prendre une mesure de justice pour réparer les dommages qu’Hydro-Québec a causés à nos terres, à nos droits ancestraux, à notre culture et à nos traditions.

On peut se demander pourquoi la Nation innue du Labrador poursuit aujourd’hui Hydro-Québec en justice en pleine pandémie, plus de 50 ans après la construction du barrage.

Tout d’abord, les tribunaux n’ont reconnu que récemment la capacité de poursuivre une société, mais non la Couronne, pour la violation des droits des peuples autochtones.

De plus, un autre facteur qui motive notre démarche est que, jusqu’à tout récemment, les négociateurs du gouvernement fédéral affirmaient que les négociations portant sur nos revendications territoriales avec le Canada et avec la province seraient rompues si nous intentions des poursuites relativement à notre titre et à nos droits ancestraux.

Enfin, Hydro-Québec continue de tirer parti du projet de Churchill Falls. Elle encaisse la quasi-totalité des bénéfices générés par la centrale dont la production compte pour le sixième de toute l’énergie produite par l’ensemble de son réseau. L’énergie produite à Churchill Falls représente la quasi-totalité de l’énergie qu’exporte Hydro-Québec.

Hydro-Québec a déjà réalisé des bénéfices de 80 milliards grâce au projet de Churchill Falls et cette somme pourrait atteindre 150 milliards à l’expiration du contrat de production d’électricité, en 2041.

Ce qui a été perdu n’a pas de prix ; il est, à vrai dire, difficile de chiffrer en dollars la compensation à demander aux tribunaux. Nous demandons au moins 4 milliards au titre de notre réclamation. À nos yeux, il s’agirait là de notre juste part des bénéfices réalisés par Hydro-Québec.

Nous sommes extrêmement déçus de constater qu’Hydro-Québec refuse de reconnaître sa responsabilité pour ce qu’elle a fait subir à notre peuple et pour les dommages qu’elle a causés à nos terres. En conclusion, tout ce qu’on peut dire est qu’il est temps qu’Hydro-Québec honore son engagement quant à la réconciliation et au partenariat avec les peuples autochtones.

Hydro-Québec et les communautés autochtones : plus de 40 ans de partenariat

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