En réponse au texte de Myrlande Pierre et Philippe-André Tessier, « Nommer le racisme et apporter des correctifs » *, publié le 12 septembre

Dans un article publié le 12 septembre dans La Presse, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) lance de nouveau un appel au gouvernement du Québec et aux institutions de la société à s’engager dans la lutte contre le racisme systémique.

Dans cette déclaration, Philippe-André Tessier et Myrlande Pierre, respectivement président et vice-présidente (Charte) de la Commission, insistent sur « la nécessité de trouver ses solutions systémiques à un problème fondamentalement structurel et institutionnel » qu’est le racisme systémique. Ils demandent au premier ministre du Québec et à la société de « s’attaquer à la problématique » afin de réaliser l’égalité de fait pour les membres des groupes racisés et des nations autochtones dans « une démarche inclusive, transparente et pragmatique ».

La notion de racisme systémique divise bon nombre de Québécois, plusieurs la considérant encore comme étant une accusation sans fondement lancée à l’endroit d’une société entière. Nonobstant cette perception du racisme systémique largement répandue au sein de la classe politique, le concept en soi a été reconnu depuis longtemps par la jurisprudence, notamment par la Cour supérieure en 2013 lorsqu’elle a rendu, pour la première fois au Québec, une décision reconnaissant le racisme systémique dans l’emploi au sein de la Ville de Montréal (l’arrêt Tanisma c. Montréal).

Rappelons également que la notion de discrimination systémique – une forme de discrimination non intentionnelle qui résulte des politiques et des pratiques neutres qui, dans leur mise en œuvre, créent des effets discriminatoires à l’endroit des groupes discriminés – a été aussi reconnue par plusieurs tribunaux au cours des 30 dernières années. Citons, entre autres, la Cour suprême en 1987 dans le cas d’Action-travail des femmes contre CN (discrimination contre les femmes dans les postes non traditionnels).

En 2017, la CDPDJ a rejeté, après six ans d’enquête, les plaintes du Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec (RAPLIQ) visant l’absence d’accès aux transports en commun offerts par la Société de transport de Montréal (STM) pour les personnes handicapées. La CDPDJ a conclu que les services de la STM étaient « de mauvaise qualité », mais qu’il n’y avait pas de discrimination systémique. Seulement quatre mois après cette décision, la Cour supérieure, saisie de la même preuve, a autorisé l’action collective du RAPLIQ pour discrimination systémique.

Quand la Commission fait appel à des « changements d’ordre systémique, structurel et institutionnel » pour réduire le racisme systémique, elle ne fait que réitérer ce qui fait désormais partie de la loi.

Cependant, bien que cet appel ait une consonance noble par sa vision d’un « nouveau contrat social », il est en fait vide de sens considérant qu’ironiquement, la Commission elle-même ne pratique pas ce qu’elle prêche.

Par exemple, lorsque ses dirigeants écrivent des minorités : « Pensons à leur sous-représentation dans l’administration publique », ils oublient qu’à la Commission elle-même, d’après son organigramme actuel, cette sous-représentation est criante en ce qui concerne ses cadres embauchés depuis 2017, dont aucun n’est issu des communautés autochtones, racisées et anglophone.

Nos années de lutte contre les discriminations nous permettent de constater de nombreuses pratiques non inclusives de la Commission qui la privent de l’autorité morale pour faire la leçon à d’autres organismes, par exemple la Ville de Montréal, au sujet du racisme systémique. En voici quelques exemples :

– l’absence de politique interne qui définit le racisme systémique pour régir le traitement des plaintes de racisme systémique et l’entêtement de la Commission à refuser d’enquêter sur la dimension systémique de ces plaintes ;

– l’absence de cas de racisme ou de discrimination systémique portés par la Commission devant le Tribunal des droits de la personne depuis 2010, auquel elle ne présente en moyenne qu’une cinquantaine de cas par année, remettant inévitablement la justification budgétaire d’un tel tribunal administratif ;

– l’absence de gestionnaires issus des communautés autochtones, racisées et anglophones ;

– la sous-représentation flagrante de juristes racisés et autochtones à titre d’enquêteurs et d’avocats, malgré le fait que la Commission soit investie de la mission de surveiller la mise en œuvre par les institutions d’État visées par la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics ; et

– les délais excessifs quasi systémiques dans le traitement des dossiers de profilage racial, délais sanctionnés à deux reprises par le Tribunal des droits de la personne en 2019 menant au rejet des dossiers et à la privation des droits pour les victimes de ce fléau.

Rappelons qu’en octobre 2017, après que le gouvernement a choisi de mettre fin aux travaux mis en œuvre par la présidente de la Commission de l’époque, MTamara Thermitus, pour étudier en profondeur le racisme systémique, la Commission a déclaré dans un communiqué :

« La Commission considère essentiel de poursuivre l’analyse des impacts de ces diverses problématiques notamment sur les personnes racisées, dont celles nées au Québec.

« En vertu du mandat qui lui est conféré par la Charte des droits et libertés de la personne, la Commission […] poursuivra les travaux, amorcés bien antérieurement à la Consultation annoncée l’été dernier […], afin d’étudier en profondeur ces sujets qui continuent d’interpeller la population québécoise dans son ensemble. »

Voilà que trois ans plus tard, la Commission revient sur un sujet sur lequel elle invite de nouveau des réflexions et fait appel à un « rendez-vous collectif » contre l’exclusion, sachant qu’elle n’a pas fait son devoir à la maison depuis lors. A-t-on des raisons de penser qu’elle va enfin agir ?

Après la publication du rapport exhaustif sur le racisme systémique par l’Office de consultation publique de Montréal suivant une manifestation monstre contre le racisme qui a eu lieu dans la foulée de la mort de George Floyd aux États-Unis, on ne peut plus réitérer les mêmes discours pour faire illusion. Nous attendons une véritable politique et des actions concrètes de la part de la Commission dont le bilan démontre qu’elle fait le contraire de ce qu’elle prêche à ce sujet.

Lisez « Nommer le racisme et apporter des correctifs »

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