Le Canada de l’après-pandémie est un pays non seulement traumatisé, mais qui connaît aussi mal ses propres enjeux réels.

Alors que le discours public demeure préoccupé par les taux d’infection à la COVID-19 au jour le jour, le pays fait déjà face à six crises nationales de « système » – c’est-à-dire six crises dont la maîtrise dictera la qualité de vie des Canadiennes et Canadiens dans un avenir prévisible, mais dont la non-maîtrise risque de causer la désintégration du pays.

Ces six crises sont intimement interconnectées et possèdent un caractère existentiel pour le Canada. Pour en sortir, il faudra avancer des solutions de qualité et de taille similairement systématiques, sinon « transystémiques ». Toute proposition qui ne répond pas à ces critères sera soit décevante, soit une pure distraction.

La première crise pancanadienne est bien évidemment celle de la santé publique – d’après moi, la moindre de nos crises à partir de l’automne. La pandémie de coronavirus est toujours à gérer, quoique les taux d’infection et de mortalité à l’échelle du pays demeurent très mitigés. Cela dit, la pandémie a donné naissance à plusieurs autres énormes défis de santé publique, notamment la santé mentale et les pathologies et maladies dont le traitement a été déplacé ou négligé pendant les derniers six mois.

La deuxième crise post-pandémique est de nature économique. Le Canada n’est pas en état de récession. Le pays se consolide dans une profonde dépression d’envergure historique. Le taux effectif de chômage dépasse déjà les 20 % à l’échelle nationale. Des milliers de petites et moyennes entreprises ont disparu pendant le confinement. La frontière américaine s’avère quasiment fermée pour tout avenir prévisible alors que de nouvelles frontières (« bulles ») interprovinciales, toujours en place, continuent d’affaiblir le marché intérieur canadien. Les ressources fiscales de tous les ordres de gouvernement partout au pays sont soit épuisées, soit sous-tendues par des déficits et des niveaux d’endettement sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale.

La troisième crise est celle de l’éducation au Canada.

L’éducation est bel et bien de compétence provinciale sur le plan législatif, mais la crise éducative est clairement de conséquence et de mesure pancanadienne.

Dans certaines provinces, le système d’éducation public est en voie d’effondrement – condition tragicomique marquée par la prolifération improvisée de nombreux régimes éducatifs parallèles, la fuite au privé, la multiplication de ce qu’on nomme les pods et de l’éducation à domicile sans encadrement formel, l’avènement d’une pédagogie uniquement en ligne et, il faut l’avouer, la quasi-défection de milliers de jeunes Canadiens du système éducatif formel. Si l’on considère que cette « entropie » d’apprentissage survient au moment où le pays devrait absolument produire une génération de diplômés capables de composer avec des défis et des dangers personnels, nationaux et internationaux d’envergure biblique, on peut commencer à saisir l’ampleur de la catastrophe qui se prépare.

La quatrième crise est internationale. Le destin politique des États-Unis est incertain à partir du mois de novembre – dynamique qui, de concert avec la frontière fermée, la nature hyper-capricieuse du leadership à Washington, la gestion incompétente de la pandémie et la radicalisation des luttes politiques, raciales et sociales aux États-Unis, exercera une pression féroce sur la cohésion psychologique, politique et stratégique au Canada. Si le Canada jouit d’outils d’« antivassalisation » de moins en moins importants face à notre allié américain, la consolidation d’une politique anti-chinoise à Ottawa, en sus d’une politique préalablement anti-russe, risque de faire en sorte que notre pays fera face à des relations tendues et peu fiables sur ses frontières australe, occidentale et septentrionale, ainsi qu’à un rapport « ennemi-allié » global de deux contre un, sur le plan démographique – situation stratégique peu propice pour un État de taille moyenne déstabilisé par une autre demi-dizaine de crises intérieures.

La cinquième crise est celle des institutions canadiennes – à savoir, surtout, l’inefficacité quasi totale du Parlement fédéral et du pouvoir législatif presque partout au pays dans le contexte des « états d’urgence » selon lesquels les gouvernements et le pouvoir exécutif se comportent depuis le mois de mars ; et cela de concert avec l’écroulement de l’espace informatique canadienne – voire l’affaiblissement global des grandes institutions médiatiques au Canada et la colonisation de l’actualité et de l’imaginaire canadiens par les réseaux sociaux uniquement américains (Twitter, Facebook, Instagram, etc.).

Bref, le Canada vit de plus en plus ses propres crises en racontant des histoires de plus en plus américaines, sans même en prendre conscience.

La sixième crise concerne l’unité nationale. L’aliénation physique (« de distance ») et psychique de l’Alberta et, dans une certaine mesure, de segments des autres provinces de l’Ouest vis-à-vis d’Ottawa est du coup assortie d’une dégringolade économique mise en branle avant la COVID-19 mais dont la profondeur post-pandémique menace la durabilité de la fédération. Cette dégringolade provoque d’ores et déjà un pessimisme spirituel quant à l’attachement régional au pays et présage un possible orage de séparatisme albertain si les pressions économiques et industrielles s’exacerbent dans les prochains mois.

Que faire afin de sortir de toutes ces crises ? Une pensée et une analyse systématiques, sans sentimentalité. Et puis l’action. Moins de « théâtre de la COVID-19 » – posture de stupéfaction qui nous paralyse alors qu’il nous faut agir de façon hyper-cinétique, avec un sens de mission existentiel et à très grande échelle, reflétant la complexité et l’immensité de notre pays déstabilisé.

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