On ne leur a pas demandé leur avis, mais c’est pour leur bien.

En l’espace de trois mois, je suis passée de proche aidante significative, de fille unique indispensable à une insolite personne masquée qui surgit dans un espace non habituel d’un CHSLD, tentant de rester présente à l’esprit confus de sa mère nonagénaire qui ne saisit pas ce qui se passe. On bouleverse ses habitudes bien ancrées sans lui demander son avis, mais c’est pour son bien !

Dans notre Québec pas fou de ses vieux, du jour au lendemain, il aurait fallu que toutes les techniciennes en loisir et en éducation spécialisée de tous les CHSLD réussissent à convertir des aînés peu rompus aux technologies numériques en accros du virtuel. Elles ont dû laisser de côté toute autre forme de stimulation, d’activités ludiques. On leur confiait une mission quasi impossible sans l’aide de collaborateurs ni de bénévoles : garder intacts les liens familiaux et familiers.

Avec raison, voyant poindre des histoires d’horreur, des familles s’inquiétaient pour l’être cher. La COVID-19 allait-elle éclore dans « leur » CHSLD ? Y avait-il un protocole rigoureux à respecter ? Y aurait-il suffisamment d’équipement de protection ? L’être cher se laisserait-il sombrer dans une dépression ? Comment se porterait son moral ? Que répondre quand il pleurerait notre absence ? Quels souvenirs allaient s’effacer ? Notre visage leur serait-il familier au jour des retrouvailles ?

Ils étaient des pions dans un système hospitalocentriste, des otages dans des lieux clos, vétustes ou non, en proie à tous les risques. On ne leur a pas demandé leur avis ni celui de leur famille. On a fermé subitement la porte aux proches aidants, même ceux qui prodiguaient des soins quasi quotidiennement.

Pas de fête de Pâques, pas de fête des Mères. Pas de parloir. Comme pour les pouponnières d’antan, on roulait les vieux vers une fenêtre pour prouver qu’ils étaient encore en vie, mais vivants ? Les portes ont juste été entrouvertes aux proches aidants, puis aux visiteurs. On ne leur a pas demandé leur avis quant aux modalités. Les résidants ont peu ou pas reconnu la visite. Ils n’ont pas compris pourquoi la présence était distante alors que le personnel se tient tout près d’eux. Ils n’ont pas compris pourquoi l’étreinte était interdite. On n’a pas su tenir compte des spécificités des résidants en unités d’alzheimer. Je croyais qu’un comité d’experts en gériatrie conseillait la Santé publique et le ministère de la Santé.

On n’a pas su préparer les âmes déboussolées, esseulées, à risquer de le devenir encore plus dans cette expérience inédite de recevoir du réconfort à deux mètres de distance. Distance physique et sociale. On n’a pas pressenti le malaise, le stress des familles qu’on traite encore comme si elles étaient radioactives. On en fait fi.

On ne reconnaît plus le prétendu milieu de vie. On brime le droit à la dignité, le droit de visite, peu importe l’impact psychosocial, la détérioration en accéléré, peu importe le tissu social.

Et tout cela pour la protection d’aînés vulnérables. Quel sort injuste et navrant que de se retrouver en CHSLD parce que dans cet « autre monde » de notre société dite moderne prévaut la mise au rancart, empreinte d’infantilisation, de personnes âgées aux prises avec la maladie de l’oubli, de la phase modérée à sévère où, en temps de pandémie, on les protège contre un nouveau virus en contribuant à l’effacement de liens familiaux fondamentaux, voire à l’absence de rituel de fin de vie !

Cela me révolte profondément, car ce que voit ma génération de baby-boomers en CHSLD est le reflet de ce qui pourrait nous attendre.

Et, croyez-moi, j’ai bien essayé de faire valoir les droits et les besoins d’une nonagénaire vulnérable. Il devient impossible de plaider en faveur de tout assouplissement des modalités, du cas par cas. Les gestionnaires d’établissement et de CIUSSS ne craignent qu’une seule éventualité : l’éclosion de la COVID-19 sur laquelle « zoomeraient » les médias. Leur importe peu le dommage collatéral qu’induisent des règles sanitaires trop strictes.

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