C’est le temps des vacances ! Un moment pour le moins attendu. Dans un contexte marqué par le confinement et ses aléas, il se présente comme une occasion de socialiser, de retrouver familles et amis, de se reposer après le stress intense des derniers mois. Pourtant, il vaut la peine de se poser la question, pourquoi nous accordons-nous si peu de répit, si peu de temps pour vivre ? Et si le « temps des vacances », plutôt qu’un moment exceptionnel de l’année, devenait un idéal de vie bonne, et un moyen de combattre le réchauffement climatique ?

Les formes institutionnelles que prend l’organisation du temps en société sont toujours le résultat de luttes et de négociations sociales. Les calendriers, les horloges, les fuseaux horaires, le temps-réseau, sont tous des systèmes inventés pour s’orienter temporellement et organiser la vie collective.

Le « temps des vacances » est en soi une institution sociale assez récente, bien qu’en son principe elle possède des racines historiques profondes. C’est une forme moderne prise par le temps qu’Aristote nommait « skholè » : le temps de loisir, un temps passé à l’écart des activités économiques, du travail, un temps pour penser, se soucier de soi et de ses proches, se réaliser. À travers l’histoire, ce temps de loisir est largement resté à distance du travail : c’est la vie communale des tribus autochtones, le repos et les festivals des paysans, l’oisiveté des aristocrates, le temps libre des ouvriers.

L’anthropologie nous en dit long sur notre relation au travail. Si la vie paysanne comportait son lot de dur labeur, les paysans travaillaient moins d’heures annuellement que les travailleurs modernes. Les chasseurs-cueilleurs travaillaient jusqu’à ce que leurs besoins de base soient satisfaits. Sans la compulsion d’accumuler des surplus, ils ne travaillaient en moyenne que trois heures par jour. Contrairement à ce qu’on en pense généralement, ils ne vivaient pas au seuil de la survivance. Ils faisaient le choix de travailler moins pour mieux vivre.

Au Québec, le travail industriel et le développement du capitalisme ont largement soumis la société au travail. Ce n’est qu’en 1946 que les travailleurs obtiennent le droit à des congés annuels, et ce n’est qu’en 1968 que la durée minimale en est fixée à deux semaines. Le reste de l’année est une course effrénée.

Qu’on le calcule de la façon que l’on veut, nos sociétés contemporaines sont soumises temporellement à l’emploi davantage que les autres formes sociales historiques, et la législation assurant un minimum de repos est toute récente. Le temps de la croissance ne peut se permettre de ralentir, la « skholè » dans notre société accélérée est devenue un anathème.

Les impératifs de productivité reliés au travail et à la vie dans une société accélérée ne se limitent pas à la sphère professionnelle. Rendre son temps productif, ne pas le perdre ou le « gaspiller » fut à l’origine un impératif qui s’est développé dans la discipline du travail en usine. Il s’est par la suite érigé en valeur centrale, en idéal éthique même, de la vie moderne. C’est ainsi que plusieurs d’entre nous abordent l’horizon temporel du temps de vacances également. Il faut le rendre productif : planifier un maximum d’activités, voir le plus d’attractions possibles, bien remplir l’horaire de façon à « produire » du loisir.

Or, rarement contemplons-nous l’idée toute simple de moins travailler. De faire des « vacances » une partie plus importante de notre vie collective. De décider, collectivement, de ralentir la roue de la croissance qui ne fait qu’alourdir notre labeur et alimenter la crise écologique. Travailler moins est un idéal qui devrait nous guider dans l’élaboration de politiques pour contrer les problèmes du stress, du surmenage, de santé, et plus globalement de la crise écologique. En contexte pandémique, la réduction du travail, jumelée à la promotion d’une économie locale, apparaît sous un nouveau jour comme des principes pouvant orienter de nouveaux horizons éthiques, économiques, politiques et climatiques. Souhaitons-nous de retrouver la volonté de perdre notre temps. À la fin, nous y gagnerons au change…

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion