En temps normal, ce n’est pas tant la peur de mourir qui obsède l’humain que le vague sentiment d’avoir une dette à payer lorsqu’il profite librement de la vie. C’est ainsi que la liberté qu’il se donne est à l’origine d’un sentiment de culpabilité, un sentiment qui normalement le suivra tout au long de sa vie, mais qu’il parviendra à endiguer grâce à un travail ardu et à ses nombreuses activités.

Dans son livre Le crépuscule des idoles, Nietzsche notait d’ailleurs avec justesse : « Les hommes ont été considérés comme libres, pour pouvoir être jugés et punis, pour pouvoir être coupables » (éd. Denoël/Gonthier, p.56).

Mais lorsque, en confinement, cette liberté n’est plus possible, alors tout bascule. Explose alors à la vue de l’humain une situation qui lui semble impossible : lui-même fruit de l’évolution, il se trouve face à un concurrent (la COVID-19) qui, bien qu’il soit issu de la même source que lui (la vie), le menace et l’oblige à se confiner. Son droit à la liberté qu’il croyait prépondérant sur l’ensemble de la planète se voit alors compromis.

Privé de liberté et privé de la culpabilité qui s’y rattache, il se retrouve alors devant un néant et un vide, un vide qui provoque automatiquement chez lui la peur de disparaître et de mourir.

Il est cependant alors important de noter que, dès que l’humain est ainsi privé de liberté, comme c’est le cas actuellement avec le confinement obligé, il ne se sent plus coupable de rien…

Par exemple, jamais un prisonnier à qui on a enlevé la liberté ne se sentira coupable de s’évader. De même, sous la coupe de régimes dictatoriaux où sa liberté est brimée, l’humain se sent pleinement en droit d’agir sous forme de révoltes ou de révolutions. Pourquoi alors qu’il est maintenant privé de sa liberté, se sentirait-il coupable de défier la nature par un déconfinement volontaire ?

Tel un petit dieu choqué, il réclamera alors haut et fort son déconfinement. Voyons par exemple comment, quelqu’un comme Manius Curius Dentatus (321-270 av. J.-C.), un être considéré comme modèle de vertu et de sagesse chez les Romains, identifiait le pire des malheurs pour l’humain. C’était, disait-il : de sortir du monde des vivants avant de mourir. (cité par Sénèque dans De la tranquillité de l’âme).

Aussi, pour la première fois de son histoire peut-être, l’humain, confiant en lui-même et au développement de la science, ose se distancer de celle qui l’a mis au monde, une nature dont, faut-il le souligner, il a pourtant lui-même détruit la plupart des habitats….

Quoi qu’il en soit, il interpellera ses dirigeants locaux et demandera de reprendre ses activités au plus vite, et cela, même si le danger de contamination persiste et que la perspective d’un vaccin reste lointaine. C’est du moins cette tendance que l’on observe un peu partout de par le monde, un monde où le mot déconfinement est presque devenu, chez les jeunes surtout, un cri de ralliement.

Alors que dans le christianisme c’était un dieu-fait-homme qui s’immolait pour sauver le monde, cette fois-ci, ce sera pour certains un homme-fait-dieu qui acceptera de se risquer en déconfinement sur l’autel de la production et de la consommation pour affirmer haut et fort sa présence dans le monde et réduire ainsi sa peur de disparaître et de mourir.

D’ailleurs, n’était-ce pas le grand Montaigne (1533-1592) lui-même qui disait qu’il aimerait mieux « mourir à cheval plutôt que dans son lit ? » (Essais, livre III). Nonobstant les répercussions néfastes que cela pourrait entraîner pour tous, n’est-ce pas aussi un peu cette posture équestre que l’on souhaite au plus vite pour tout le monde ? Vivement un vaccin !

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