Une des plus belles images qui soient sorties de l’adaptation des villes à la pandémie, c’est certainement les terrasses de restaurants qui s’étendent librement sur les places, dans les rues et les parcs. À Montréal, certaines rues, comme Bernard, arborent en ce moment des airs d’Europe. C’est d’ailleurs une des grandes différences entre l’Europe et l’Amérique du Nord : on est plutôt habitué ici à garder les tables derrière des enclos, pour que rien ne dépasse. On a même fixé des règlements interdisant aux restaurateurs d’installer des terrasses représentant plus de 50 % de leur superficie intérieure.

Qu’on ne s’étonne donc pas de ne pas avoir ici de belles places à l’européenne, débordantes de terrasses attrayantes qui rendent la ville plus vivante et soutiennent les commerçants locaux !

Il aura fallu une crise sanitaire pour qu’on libère enfin les terrasses dans nos villes. Qu’on redécouvre le plaisir de manger en extérieur. Qu’on allège des règlements contraignants et qu’on fasse confiance aux petits entrepreneurs locaux pour valoriser leurs tronçons de rue et leurs places. Un des plus beaux legs de cette période serait donc de conserver ces terrasses qui se déploient librement et harmonieusement dans les espaces publics.

Les chaises emblématiques de l’urbanisme tactique

On observe en ce moment un engouement marqué pour l’urbanisme tactique, puisqu’il permet des déploiements rapides, légers et peu coûteux pour améliorer les villes. Hélas, nous sommes privés à Montréal d’un des éléments les plus emblématiques de ce mouvement qui s’est accéléré il y a une décennie : les tables et chaises mobiles. Ce mobilier léger a fait la réputation du Jardin du Luxembourg à Paris. Il constitue aussi une composante clé de l’impressionnante transformation de New York, avec la revitalisation de Bryant Park, la piétonnisation éclair de Times Square et autres nouvelles « plazas ».

On parle partout de façonner des villes à échelle humaine. Il n’y a pas un type de mobilier qui soit plus représentatif de cette échelle, puisqu’il est invitant, convivial et déplaçable selon les envies du public pour créer toutes sortes de configurations de salons urbains.

Mais voilà, Montréal est la seule grande ville nord-américaine à ne pas encourager l’utilisation de ces chaises et tables mobiles dans ses parcs, ses rues et ses places. En effet, les quelque 6000 tables et chaises qui font la joie des New-Yorkais à Bryant Park ont peu à peu convaincu tous les professionnels de l’aménagement urbain au fil des années. Bryant Park était le seul parc en Amérique à en faire usage en 1998. Aujourd’hui, on retrouve des chaises « bistro » à Detroit, Los Angeles, Philadelphie, Seattle, Chicago, Toronto, entre autres. On en retrouve même à Québec, où elles sont au cœur de la stratégie d’adaptation de l’espace public en temps de COVID-19, avec le programme de Places Éphémères qui a été bonifié cet été.

La réticence historique de Montréal envers un équipement si simple, économique et convivial pour le public a attristé bon nombre de professionnels de la Ville, qui ont dû s’y résigner au fil du temps. Selon une légende urbaine, un avis défavorable aurait été émis il y a bien longtemps à l’égard du mobilier léger, qui serait dangereux puisqu’il peut servir de projectile et serait donc interdit. Une décennie d’urbanisme tactique n’y a rien changé. Même la pandémie, qui a chamboulé bien des règles, n’a pas fait évoluer cette pratique. Pourtant, de nombreuses rues piétonnes auraient pu en profiter, rapidement.

Se priver des tables et des chaises n’a plus de raison d’être. Ce mobilier léger a été l’un des outils essentiels ayant permis à d’autres villes d’attirer le public dans les parcs et les places, et à les rendre plus sûrs !

Car plus il y a de gens bien intentionnés dans un espace, plus il est sécuritaire. Chaises et tables permettent ainsi au public de passer plus de temps dans les lieux publics, notamment les parents avec jeunes enfants et les personnes âgées. C’est une question d’inclusivité de nos espaces. Ce mobilier a également l’avantage de permettre à chacun de choisir sa position dans l’espace, contrairement aux bancs fixes : au soleil ou à l’ombre, près de ses amis ou plus en retrait, comme on le désire.

L’assouplissement des règles est finalement souvent plus efficace que le meilleur design pour améliorer la ville. La forme des villes est davantage la résultante de l’adaptation de leurs règlements que des gestes de design. La pandémie aura permis de changer la donne, un temps. Elle nous a poussés à innover et à remettre en question des réglementations qui empêchent la ville de s’épanouir pleinement. Espérons que nous en tirerons des enseignements et trouverons les moyens à long terme pour libérer le plein potentiel de nos espaces publics.

* Jérôme Barth est également fondateur du groupe de conseil Town Square Consulting

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion