Un mois après l’arrêté ministériel présenté par la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, levant la suspension de toute sortie extérieure pour les personnes autonomes vivant dans les résidences pour aînés, ce n’est pas sans une certaine appréhension et une inquiétude bienveillante que nous voyons nos résidants reprendre leurs activités à l’extérieur de nos murs.

Bien que située sur les rives de la paisible rivière des prairies, notre résidence, la Résidence Au Fil de l’Eau, se situe au cœur d’une zone chaude encore fortement touchée par la COVID-19. Nous ne saurions être trop prudents face à cet ennemi invisible et faire courir un risque pour nos résidants les plus vulnérables. Jusqu’à présent, nous avons tenu le fort pour limiter le risque à son minimum, appliquant scrupuleusement les consignes de santé publique.

Nous avons suspendu les visites non essentielles, fermé toutes les aires communes, arrêté les activités de loisirs, remplacé le restaurant par des plats surgelés préparés par nos cuisiniers et livrés, comme pour les produits d’épicerie ou de la SAQ, directement aux appartements, limité les déplacements à l’intérieur et à l’extérieur de la résidence et réduit au maximum le personnel en favorisant le télétravail.

Pour rompre l’isolement, nous avons maintenu une communication quotidienne avec nos résidants, organisé des activités de chansons depuis les balcons, distribué sur demande des activités de loisirs créatifs et des capsules du Père Patry avec la Fondation Jeanne-Mance, qui a également permis à Richard Gauthier de se rendre disponible pour des entretiens téléphoniques avec nos locataires.

Malgré tous nos efforts, nous n’avons pu malheureusement éviter le décès de deux de nos résidants à l’hôpital, à la suite d’une contamination contractée dans notre établissement qui compte 950 résidants. Aussi mince soit-il, ce bilan me restera toujours insupportable et je ne cesse de me questionner sur ce que nous aurions pu faire pour éviter ces cas.

Quand nous regardons dans le rétroviseur, force est de constater que notre résidence, comme beaucoup d’autres, s’est pourtant vite retrouvée esseulée dans la gestion de cette crise.

Notre résidence n’a fait partie d’aucune concertation avec les autorités et les différents acteurs de la Santé publique, obligée et contrainte de devoir appliquer des mesures et d’accepter des décisions parfois totalement incohérentes.

Nous avons par exemple demandé à maintes reprises au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Est-de-l’Île-de-Montréal de limiter le nombre de personnes qui intervenaient chaque jour pour des soins à nos résidants et de dédier ces ressources à notre seule résidence. Jusqu’à 30 personnes différentes se sont pourtant succédé chaque jour au plus fort de la crise.

Nous nous sommes également battus avec l’Hôpital Santa Cabrini, qui nous retournait des patients sans nous aviser, sans coordination avec le CIUSSS et même sans qu’ils soient dépistés au préalable. Pire, face au besoin urgent de libérer des lits, une patiente nous est revenue de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont alors qu’elle ne pouvait marcher, se remettant lentement de blessures aux pieds. Nous n’avons pourtant aucun service de soins dans notre résidence, qui n’accueille que des personnes autonomes.

Au lendemain de l’annonce de la ministre Blais, nous avons questionné nos résidants sur les mesures de déconfinement et une très grande majorité (90 %) considérait que l’échéance du 5 mai pour les sorties extérieures intervenait bien trop tôt, sans tenir compte de l’environnement dans lequel se situe notre résidence. Pour ne pas nous mettre en porte-à-faux vis-à-vis de l’arrêté ministériel dont nous avons pu cependant reporter l’application d’une semaine, nous avons opté pour un déconfinement progressif à l’intérieur de la résidence, avec l’appui de nos locataires.

Nous avons ainsi rouvert les aires communes et les jardins, distribué des masques à nos résidants tout en leur demandant de respecter les mesures de distanciation et ouvert un registre pour les sorties extérieures. Il me semble que toutes ces mesures ne sont pas le fruit d’un excès de prudence ni n’entravent les libertés de nos résidants.

Les atermoiements et les incohérences des différents acteurs de la santé publique à Montréal ont joué sur notre niveau de confiance et nous ont fortement inclinés à prendre toutes les précautions possibles au-delà des minimums requis par les autorités pour limiter le risque au minimum. Nous espérons que quand le temps sera venu de faire le bilan de la gestion de cette crise et de réfléchir à la meilleure façon d’endiguer une crise de cette ampleur, les propriétaires des résidences pour aînés seront plus écoutés et pourront faire partie des concertations pour définir les mesures sanitaires.

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