Si on passe en revue les presque quatre ans de la présidence Trump et que cet examen montre que ce président est véritablement déchaîné, dans le sens anglais du terme « unhinged », plus on se rapproche du 3 novembre, date de l’élection présidentielle américaine, et plus on est en droit de s’inquiéter du risque de guerre civile aux États-Unis.

Ce n’est pas de la dramaturgie. C’est plutôt le résultat du refus des élus du Parti républicain de restreindre leur président, à quelques projets de loi près quand leur autorité était mise en cause, notamment dans le domaine des affaires étrangères et de défense. Mais c’est surtout le résultat de signes dangereux émanant de la présidence, notamment, si paradoxal que cela puisse paraître, depuis les élections législatives ayant donné la majorité aux démocrates à la Chambre des représentants. Bien qu’on en soit arrivé à ne plus réagir aux mensonges présidentiels – plus de 20 000 –, certains représentent des signes avant-coureurs de mesures dictatoriales. L’exploitation de la justice à des fins politiques a atteint un degré qui fera du Procureur général des États-Unis, Bill Barr, l’un des hommes les plus dangereux dans l’histoire des administrations américaines. Ce dernier n’a pas hésité à justifier le recours éventuel aux forces armées sous prétexte que les manifestants près de l’église où Trump voulait avoir une « photo-op » étaient violents et comptaient des terroristes gauchistes. Aucune image n’en a révélé la moindre ombre.

Si les gestes faits par Donald Trump étaient seulement risibles, on pourrait les ignorer. Le drame, c’est qu’on s’est habitués à ses excès.

Mais c’est impardonnable de considérer l’exceptionnel comme ordinaire. C’est comme cela qu’on laisse se détruire une démocratie et que l’on passe à l’illibéralisme à l’européenne de l’Est, et pire encore.

Comme le dit le proverbe espagnol, « muchos pocos hacen un mucho ». Les délitements s’accumulent. Nous en sommes là, dans la présidence américaine, dès lors que le fameux équilibre des pouvoirs entre le Congrès, la Cour suprême et la présidence ne joue plus. Le jour où Trump a dénoncé le vote par courrier comme étant l’objet de tricheries majeures, sans qu’aucun sénateur républicain, hormis Mitt Romney, ne réagisse, pourrait être le premier jour de l’effondrement de la démocratie américaine. Certes, les républicains sont passés maîtres dans l’art de mettre des bâtons dans les roues des électeurs les plus démunis, les sans-logis, les sans-papiers même sans être illégaux et dans l’atermoiement des modernisations des systèmes de votation comme en Floride. Les deux partis, républicain et démocrate, sont tous deux coupables du fameux « gerrymandering » que l’on peut simplifier par trafiquage des cartes électorales.

Mais l’attaque systématique de Trump contre le vote par courrier représente une phase distincte dont le pendant est ce que le général Mattis a dénoncé récemment : l’effort délibéré de Trump de renforcer les divisions dans le pays.

Bush junior l’avait fait en politique étrangère avec son « with me or against me » (avec moi ou contre moi), sans nuances. Trump, « président de l’ordre public », a montré maintes et maintes fois son manque total d’empathie. Accusant les manifestants d’être des terroristes, non seulement il alimente sa base, mais en plus il habilite et donne pouvoir aux extrémistes de droite, tout particulièrement, qui pourraient devenir sa force de frappe en novembre.

Soyons clairs et clairvoyants : si la COVID-19 remonte en flèche à l’automne, surtout aux États-Unis en raison de la promiscuité des manifestations, il se pourrait fort bien que les élections soient conduites par courrier plus qu’en personne.

Imaginons simplement une victoire au rasoir de Joe Biden en termes de voix des grands électeurs, même si, comme Hillary Clinton, le vote populaire lui était acquis. Cela ne suffirait-il pas à Trump pour déclarer que sa réélection avait été usurpée par les tricheries des votes par courrier ? Avec les bandits qui l’entourent, notamment un Barr qui lui donnerait raison, il ne faudrait qu’une étincelle pour faire descendre dans la rue ses supporteurs de tous poils. La police n’y suffirait plus. La Garde nationale serait mobilisée… Reviendrait-il à l’armée de sauver la République ?

Le général de Gaulle a dit un jour cette phrase unique : « La France a un crédit latent à la dictature. » Les États-Unis ont une Constitution conçue pour l’éviter, mais rien ne prévoyait qu’une minorité de citoyens américains éliraient un homme dont les affinités sont infiniment plus proches des dictatures qu’il jalouse que des démocraties qu’il méprise.

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