Lundi soir, Donald Trump a fait un discours où il a menacé de déployer l’armée pour arrêter les manifestations avant de se rendre devant une église pour être pris en photo Bible en main. Pour qu’il puisse faire ce discours, des manifestants pacifiques proches de la Maison-Blanche ont été dispersés par des gaz lacrymogènes, des grenades assourdissantes et des balles en caoutchouc.

Cette scène aussi sordide que surréelle soulève plusieurs problèmes. Si le manque de respect pour les manifestants pacifiques et la violence de son discours sont manifestement problématiques, l’usage de la Bible et d’une église pour une prise de photo est tout aussi révoltant. L’évêque du diocèse de Washington, Mariann Edgar Budde, s’est dite « outrée » de ce « blasphème » puisque le président n’a pas informé les responsables de cette église de son plan. De plus, elle indique que le message de Trump est l’antithèse même de l’enseignement de Jésus.

En tant que professeur en études bibliques, je crois qu’il est important de faire attention aux symboles qu’il manipule. La photo montre d’ailleurs que le président n’est manifestement pas habitué de tenir une bible. Prise comme une manette de télévision, il brandit la Bible dans les airs, au lieu de l’ouvrir pour la lire et pour en discuter. Sait-il que la Bible était évoquée par les esclavagistes pour justifier l’injustifiable ? Par exemple, dans un récit du livre de la Genèse (9, 18-27), Noé maudit un petit-fils en indiquant qu’il sera l’esclave de ses frères. L’interprétation des esclavagistes tenait ce personnage pour l’ancêtre des Africains et justifiait leur pratique sordide. Cette interprétation ne tient pas la route, mais elle montre comment on peut prendre un texte sacré pour justifier des actions racistes.

En brandissant la Bible d’une telle façon, Trump entre dans cette lignée de personnes qui ont utilisé la Bible comme outil de propagande.

Pourtant, s’il prenait la peine d’ouvrir le livre qui est dans ses mains, il verrait que parmi les textes bibliques les plus importants se trouvent des textes qui ont nourri la lutte pour les droits civiques des Noirs aux États-Unis. Les pages du livre de la Genèse racontent une version du début de l’humanité où tous les humains font partie d’une même famille. Il est frappant de comprendre que les Israélites qui ont écrit ce livre ont raconté l’origine des peuples ennemis comme leurs propres cousins. Le livre suivant, celui de l’Exode, transmet le récit d’esclaves opprimés en terre étrangère qui aspirent à la liberté. Cette histoire devient le fondement de la relation entre Dieu et le peuple qu’il a libéré. Le troisième livre biblique, appelé Lévitique, est moins connu puisqu’il transmet des lois plutôt que des récits. Or, parmi ces lois on retrouve : « Quand un émigré viendra s’installer dans ton pays, ne l’exploitez pas ; au contraire, traitez-le comme s’il était un membre de votre peuple : tu l’aimeras comme toi-même. Rappelez-vous que vous avez aussi été immigrés en Égypte. » (Lv 19,33-34) Ce commandement sera repris par plusieurs livres prophétiques.

Du côté du Nouveau Testament, l’Évangile de Luc commence par le cri de réjouissance de Marie qui voit l’action de Dieu dans la venue de Jésus comme libération des opprimés : « Il est intervenu de toute la force de son bras ; il a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse ; il a jeté les puissants à bas de leurs trônes et il a élevé les humbles ; les affamés, il les a comblés de biens et les riches, il les a renvoyés les mains vides. » (Lc 1, 51-53) Jésus n’avait rien à voir avec le pouvoir politique ou religieux de son époque. Au contraire, il a été crucifié, l’exécution spécifiquement réservée pour ceux qui se rebellaient contre l’Empire romain. À l’inverse de cet empire qui a imposé sa volonté par les invasions militaires et sa domination économique, Jésus parlait d’un royaume de Dieu appartenant aux petits enfants (Mt 19,14) où les prostituées avaient les premières places (Mt 21,31).

Quand Trump prend la Bible, il tient un livre qui transmet plusieurs récits où Dieu se trouve du côté des opprimés. La Bible est un recueil sacré pour plusieurs parce qu’en parlant de libération dans des récits situés il y a plus de 2000 ans, il permet encore aujourd’hui de mettre des mots et d’inspirer les personnes qui veulent un monde meilleur.

« Quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites qui aiment faire leurs prières debout dans les assemblées et les carrefours, afin d’être vus des hommes. » (Mt 6,5) Cette image de Trump, Bible en main, est si révoltante qu’elle me donne espoir que les Américains qui lisent la Bible finissent par voir l’imposture de celui qui utilise des symboles sacrés sans les comprendre.

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