« On n’attire pas les mouches avec du vinaigre ! » C’est la réflexion qui m’est venue à l’esprit il y a deux semaines en regardant l’entrevue de Yoshua Bengio et Valérie Pisano à Tout le monde en parle.

Il est difficile d’imaginer prestation plus impeccable que celle de ces deux scientifiques concepteurs d’une application de traçage de la COVID-19 qu’ils aimeraient bien voir les Québécois installer sur leurs téléphones cellulaires.

La grande classe ! Combien était à première vue convainquant leur plaidoyer en faveur d’une invention permettant de sauver des vies – qui peut être contre cela ? –, tout en respectant la vie privée des citoyens ! À l’instar de l’animateur Gino Chouinard qui s’informa du moment où la nouvelle merveille serait disponible, plusieurs ont sans doute été séduits par ces scientifiques dont la bonne foi ne semblait le céder qu’à la compétence.

Non seulement les quelques informations personnelles recueillies seraient soustraites aux autorités gouvernementales et aux grandes entreprises, mais les citoyens contrôleraient ce nouvel instrument qualifié carrément d’avancée démocratique par M. Bengio. Le tout de façon évidemment temporaire, étant bien entendu que cela se terminera une fois la pandémie derrière nous.

PHOTO THOMAS SAMSON, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un aperçu de l’application StopCovid développée par le gouvernement français destinée à retracer les personnes infectées et celles qu’elles ont potentiellement contaminées.

« Suis-je en train de devenir paranoïaque ? », ai-je pensé quand j’ai entendu une petite voix me rappeler que j’avais déjà entendu ce genre de propos dans le passé ? Ah ! Les belles promesses que l’on nous faisait il n’y a pas si longtemps sur cette merveilleuse « économie du partage » citoyenne et altruiste qui était censée découler de la révolution numérique !

Souvenez-vous… quand on célébrait ces dynamiques citoyens mettant eux-mêmes en location, sans aucun intermédiaire, bien sûr, leurs appartements au bénéfice de sympathiques touristes venus juste nous dire « Bonjour !  ». Sans parler de ces travailleurs autonomes d’Uber si chanceux de pouvoir contrôler leurs horaires et leurs revenus, contrairement à ces corporatistes chauffeurs de taxis sales et déprimants.

Sans oublier surtout ces toutes récentes histoires de méga-fuites informatiques au sein d’institutions crédibles comme les banques et les gouvernements.

Bonnes intentions

Non ! Ce n’était pas moi qui étais en train de devenir paranoïaque. C’était plutôt le discours hyper-rassurant de nos deux scientifiques qui ne tenait pas la route en regard de l’expérience des 20 dernières années.

Ce n’est pas d’hier que l’enfer est pavé de bonnes intentions et que l’on peut être un scientifique de bonne foi, mais inconscient des impacts négatifs structurants de ses inventions sur le fonctionnement d’une démocratie libérale de même que sur les libertés publiques.

Alors que des choses considérées hier encore comme impensables le deviennent en raison de la peur de la COVID-19, comment ne pas se méfier d’experts qui font à ce point abstraction de certaines caractéristiques élémentaires de la nature humaine ?

La rhétorique altruiste sur le thème de « sauvez des vies ! » ne saurait faire oublier qu’il faut être un brin masochiste, quand on est un citoyen de 40 ans fondamentalement peu menacé par la COVID-19, pour donner de soi-même à un système informatique des données amenant à se mettre éventuellement en quarantaine pour des motifs pas toujours convaincants, pire, à être stigmatisé voire recherché si quelque chose dérape.

Y a-t-il des gens qui pensent sérieusement par ailleurs que les applications de traçage informatique vont être abandonnées une fois la pandémie terminée ? Rappelons que certains présentent déjà l’arrivée d’une deuxième vague comme sûre, sans parler de ces autres dangereux virus qui nous guetteraient supposément en permanence dans la nouvelle ère qui s’annonce.

La belle cage

Qui croit qu’une fois que l’on aura ouvert la porte à un Big Brother beaucoup plus puissant que nous ne le serons jamais, il sera possible de la refermer ?

Il y a au moins deux choses de sûres dans le brouillard actuel. La première est que, tôt ou tard, la COVID-19 passera. La seconde est que, non seulement les diverses applications numériques de traçage des citoyens, elles, ne passeront pas mais qu’elles prendront de plus en plus d’ampleur dans l’avenir au détriment des libertés publiques, la Chine donnant le ton en ce domaine.

Theresa Tam, l’administratrice en chef de l’Agence de la santé publique du Canada qui s’y connaît un peu dans le domaine, déclarait récemment que le traçage manuel de la COVID-19 restait ce qu’il y a de plus efficace.

Une fois la crise passée, il y aura deux types de démocraties libérales. Celles dont les citoyens auront instinctivement dit non à ces propositions liberticides. Et celles où ils auront accepté d’entrer dans la belle cage qu’on leur aura construite supposément pour leur bien.

Espérons que, n’en déplaise à la nouvelle bien-pensance technologique et sanitaire qui est en train de monter ici comme ailleurs, les Québécois refuseront d’embarquer dans le piège du traçage numérique, s’assurant que leur société reste l’une des plus libres qui existent sur la Terre.

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