La fin de semaine dernière, un fils m’a parlé d’une décennie de visites quotidiennes à son vieux père vivant dans une résidence pour personnes âgées.

Il a parlé du temps de qualité qu’ils passaient ensemble et de quelle façon il réconfortait régulièrement son père. Il lui apportait des repas maison, écoutait de la musique avec lui et lui racontait des histoires. Il m’a expliqué l’importance pour son père de savoir que quelqu’un qui l’aimait était là pour veiller sur lui.

Trois semaines après que les familles se soient vu interdire l’accès aux résidences pour personnes âgées, son père s’est éteint. Il avait 101 ans. Il n’est pas mort de la COVID-19, mais d’un cœur brisé, seul et apeuré. Ce n’était pas là le dernier chapitre d’une vie extraordinaire auquel son fils s’attendait.

Sa peine est aujourd’hui décuplée par la colère et la frustration de ne pas avoir été témoin de ses derniers jours, de ses derniers instants.

Combien d’autres personnes âgées perdrons-nous avant de comprendre comment surmonter les obstacles bureaucratiques qui empêchent les aidants familiaux désignés de se trouver auprès d’elles ?

Avec les appels du premier ministre Legault en quête de personnes volontaires pour porter assistance dans les résidences pour personnes âgées, plus de 50 000 personnes se sont inscrites pour offrir du renfort alors que des militaires, des médecins spécialistes et des travailleurs de la santé sont déployés pour prêter main-forte. 

Pourtant, chaque jour, aux nouvelles, nous entendons des histoires et voyons des images de familles coincées à l’extérieur, terriblement inquiètes, s’efforçant d’établir un contact ou confrontées à l’insurmontable tourment de ne pas avoir pu entrer à temps.

Il y a deux semaines déjà que le gouvernement provincial a annoncé que, dans certaines circonstances, des soignants désignés seraient autorisés à entrer dans les établissements. Cependant, ils rencontrent toujours des obstacles qui leur bloquent l’accès.

Il est scandaleux de constater qu’alors que des milliers de bénévoles compatissants sont recrutés et formés pour venir en aide aux établissements de soins de longue durée, des pétitions doivent être lancées pour faire comprendre au gouvernement qu’il faut réintégrer les aidants familiaux.

Certains de mes collègues en travail social ont suivi une formation spéciale leur permettant d’apporter rapidement de l’aide dans les établissements de soins de longue durée et des militaires ont précipitamment accès aux résidences pour personnes âgées, alors que des aidants familiaux pleurent de loin la perte de tant d’aînés morts sans personne à leurs côtés.

Et le bien-être mental ?

Notre priorité doit être de protéger nos aînés de la COVID-19, mais sommes-nous prêts à le faire aux dépens de leur bien-être mental ? Il m’est difficile de concevoir comment il est possible que, six semaines après le début du combat, nous n’ayons pas encore compris l’immensité des répercussions qu’aura le fait d’éloigner les aidants familiaux des établissements.

Ce n’est pas sorcier, c’est une question d’humanité. Il s’agit de cette personne qui prend soin de vous avec amour et compassion, celle qui connaît votre histoire et partage vos souvenirs.

Chaque personne peut se remémorer une situation où elle s’est sentie si vulnérable que seule une personne aimante pouvait lui apporter le réconfort dont elle avait vraiment besoin. Nous connaissons la différence entre un professionnel qui prend soin de nos besoins fondamentaux et un membre de la famille qui prend soin de nos besoins individuels. Comment diable pouvons-nous justifier que les personnes aînées qui sont les plus à risque en cette période de pandémie peuvent être confiées aux soins de bénévoles qui se sont inscrits sur une liste, même sans avoir d’expérience pertinente, plutôt que par les membres de la famille qui possèdent les aptitudes nécessaires et ont toujours été là ?

Que faudra-t-il pour convaincre les autorités que les aînés vulnérables ont besoin de leur système de soutien primaire, et ce, dès maintenant ? Combien de cœurs devront être brisés avant que nous fassions fi de la lourdeur bureaucratique et reconnaissions le rôle essentiel et crucial que les aidants familiaux jouent auprès des personnes âgées ?

Comme le fils avec qui j’ai discuté l’a décrit de façon si éloquente, derrière chaque nombre de cette effrayante liste quotidienne de morts dans les résidences pour personnes âgées, il y a un visage et une histoire. Veillons à ce que les aidants familiaux soient en mesure de contribuer à la baisse des chiffres et faire en sorte que leurs histoires restent vivantes.

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