Avec le beau temps viennent les touristes de Montréal, et avec les touristes de Montréal vient la contagion. Le maire d’Oka en était bien conscient.

Or, les autorités ne voulaient rien savoir d’installer un poste de contrôle de la Sûreté du Québec, alors il s’est tourné vers un allié surprenant : le Conseil mohawk de Kanesatake. Quelques semaines à peine après la crise ferroviaire, Autochtones et Allochtones allaient travailler ensemble pour bloquer la route de leur adversaire commun, la COVID-19.

Cela fait plusieurs mois que je fais le tour du Québec à la rencontre des Premières Nations. Lorsque la crise sanitaire a commencé, je savais qu’elle posait des défis particuliers aux communautés autochtones. Comment la mise en quarantaine allait-elle fonctionner quand les logements sont déjà surpeuplés dans les réserves ? Comment protéger les aînés qui, la plupart du temps, partagent leur toit avec des enfants ? Est-ce que l’équipement médical et les ressources humaines allaient se rendre à destination sachant qu’en temps normal, ils viennent à manquer ?

J’ai décroché le téléphone. À l’autre bout du fil, j’ai trouvé de la résilience et du leadership. 

Toutes les communautés avec qui j’ai échangé dans les dernières semaines ont déclaré l’état d’urgence et mis en place des plans de confinement adaptés à leur réalité.

Elles ont trouvé des solutions bien à elles aux problèmes posés par la crise sanitaire.

Par exemple, chez les Innus de Matimekush-Lac John, une chasse communautaire est venue remplir les congélateurs de caribou pour traverser d’éventuelles pénuries de nourriture. La nation Anishnabe du Lac Simon a mis sur pied des espaces de confinement temporaire pour les aînés, les femmes victimes de violence et les sans-abri.

Là où ils ne pouvaient agir seuls, les Autochtones n’ont pas attendu des secours parachutés. Ils ont identifié eux-mêmes leurs défis les plus pressants et ils ont travaillé avec nos gouvernements, leurs voisins et leurs alliés pour les régler. La Long Point First Nation, à Winneway, en Abitibi-Témiscamingue, ne dispose pas de corps de police pour assurer le respect du confinement. Ma collègue de Rouyn-Noranda–Témiscamingue Émilise Lessard-Therrien et moi avons joint nos voix à celle de la communauté pour qu’on lui prête deux officiers et une voiture de la Sûreté du Québec. Dans le Nord, le transport par avion est un service essentiel, mais la compagnie aérienne a des difficultés financières et elle aurait pu fermer. En fin de compte, de l’argent a été débloqué pour sortir Air Inuit du pétrin et sauver les 14 villages nordiques de l’isolement complet. Les pressions des Inuit ont porté leurs fruits.

Tout n’est pas parfait. Les Autochtones ont les mêmes inquiétudes que nous, les Allochtones, sur ce qui arrive à nos plus vulnérables. À Eukuanitshit, sur la Côte-Nord, le sort des détenus dans la prison fédérale reste flou ; en milieu urbain, le dépistage ne se rend pas aux sans-abri autochtones.

Des vieux obstacles refont surface, aussi. À Uashat, on se demande pourquoi l’hôpital de Sept-Îles a renvoyé chez elle une personne atteinte avant qu’elle se retrouve hospitalisée à Québec. Le Nunavik Leaders Group, formé pour affronter la crise dans les communautés inuites, peine à se faire entendre. La semaine dernière, le gouvernement du Québec a unilatéralement rouvert les mines de la région, une décision qualifiée de dangereuse par les Inuits. Selon l’organisation qui les représente, Makivik, la pandémie n’est pas une raison de ne plus consulter.

J’irais plus loin : la pandémie nous donne plus de raisons que jamais de consulter, d’écouter, de dialoguer.

Pour toute communauté, une crise comme celle qu’on est en train de vivre, c’est une épreuve de vérité. Alors que certains pays du monde échouent à protéger leur population, des communautés autochtones dépourvues de moyens ont déployé des mesures d’une complexité exceptionnelle dans un temps record. Cette mobilisation met à mal les vieux préjugés coloniaux qui hantent encore les relations entre Québec et les Premières Nations. Les Autochtones, incapables de s’occuper d’eux-mêmes ? Au contraire, ils n’ont rien à envier à notre leadership et ils nous donnent tout un exemple de résilience.

Le barrage mohawk ne fait plus partie des plans de la Ville d’Oka, mais comme tant d’autres initiatives autochtones depuis le début de cette crise, il nous fait entrevoir les bienfaits mutuels d’une entente renouvelée entre la nation québécoise et les Premières Nations. La crise sanitaire nous enseigne qu’un partenariat fondé sur la communication des besoins, pas des ordres, la reconnaissance des compétences respectives de nos institutions et la légitimité des Autochtones à s’occuper des affaires qui les concernent est de loin préférable au climat explosif de la crise précédente.

C’est vrai aujourd’hui alors que des vies sont en jeu. Ce sera vrai demain lorsque la relance économique deviendra notre préoccupation première.

Aurons-nous l’humilité, le courage de donner aux Autochtones la place qui leur revient autour de la table des décisions ? Au cœur de la solution ?

M. Legault, au sortir de la crise sanitaire, j’espère que vous aurez cette humilité, ce courage. En attendant, j’ai une autre question pour vous : chaque jour, à 13 h, vous reconnaissez la contribution des Québécoises et des Québécois, du plus petit au plus grand, dans la lutte contre la pandémie. Ça encourage bien des gens à continuer de faire leur part, j’en suis convaincue. 

Et si, dans les prochains jours, vous preniez un moment pour saluer les efforts tout aussi remarquables des communautés autochtones ? Je crois qu’elles le méritent aussi.

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