Il y a deux semaines, la conférence C2-Montréal annonçait que le thème de sa prochaine édition serait « Réinvention », après avoir vu son évènement annuel, normalement toujours au mois de mai, repoussé, à la suite de la crise de la COVID-19. Elle ne sera pas la seule à devoir se réinventer. Autres entreprises et individus devront aussi le faire. Semaines de confinement, ralentissement de production et fermetures obligent.

La réinvention est cousine germaine de la rédemption.

Aujourd’hui, des millions d’entre nous célébrons Pâques. Évidemment, pour comprendre cette importante date du calendrier chrétien, les explications théologiennes existent. Je préfère la résumer simplement, en empruntant une phrase de l’actrice Vanessa L. Williams, alors qu’elle interprétait le rôle de Wilhelmina Slater, dans la reprise américaine de la série Betty la fea : on doit à Jésus le plus impressionnant comeback de l’Histoire. Pâques, c’est aussi ça : un moment de rédemption pour l’humanité, gracieuseté du fils unique de Joseph et de Marie.

Qui a le droit à la rédemption ? Je me suis posé la question à la suite de la mort de Kobe Bryant. Le 26 janvier dernier, ce récemment nommé membre du Temple de la renommé de la NBA a perdu la vie dans un accident d’hélicoptère, aux côtés de huit autres passagers, dont sa fille Gianna et la coéquipière de cette dernière.

Son corps était à peine identifié par les autorités que, déjà, son héritage était remis en question. Trophées, Oscar et médailles olympiques ne peuvent pas – et ne doivent pas – effacer une allégation et une quasi-admission d’agression sexuelle. Sur ça, nous pouvons tous être d’accord.

Bryant a passé les années suivant cet incident a dominé son sport puis, à sa retraite, à continuer et amplifier ses importantes implications, à coup de millions de dollars et d’innombrables heures dans le sport féminin et dans diverses initiatives communautaires et socio-économiques, entre autres. Une repentance devant un public devenu juge et jury, à défaut d’avoir été condamné par la justice.

Mais pour beaucoup, ce n’était pas assez pour non pas oublier ou effacer cette partie ignoble de son passé, mais pour accepter que Bryant était plus que l’ogre qui a brisé la vie d’une jeune femme, un soir en 2003.

Je suis une passionnée du clan Kennedy. Du patriarche Joe père, mort en 1969, à Joe Kennedy III, le trentenaire congressman du Massachusetts. D’ailleurs, il faudra le surveiller puisqu’il deviendra possiblement une figure importante du Parti démocrate, qui lui aussi devra penser à une réinvention.

PHOTO MICHAEL DWYER, ASSOCIATED PRESS

Edward Kennedy

Mais de tous les membres de cette famille, mon préféré était Edward Kennedy. Teddy, de son sobriquet.

Sa mort en 2010 avait fait la une des plus grandes publications du monde et les funérailles du sénateur avaient rassemblé le tout-Washington qui, le temps de la messe, a partagé les bancs de l’église Our Lady of Perpetual Help de Boston, avec des dignitaires venus des quatre coins du monde. On appelait Kennedy le lion du Sénat. À travers ses projets de lois et autres initiatives, le Sénateur avait passé près de 50 ans à défendre ceux dont la vie n’avait rien de la sienne. Pas le privilège, pas le Camelot. C’est la marque Kennedy : s’impliquer, donner aux autres, faire le bien.

Son impact et son influence ont dépassé les lignes partisanes, celles qui pourtant déchirent aujourd’hui la politique américaine.

Mais dans un accident un soir de 1969, sur l’île de Chappaquiddick au Massachusetts, la voiture de Kennedy s’est retrouvé au fond des eaux de la petite péninsule. Kennedy s’en est sorti. La passagère qui l’accompagnait n’a pas eu cette chance. Le sénateur a attendu près de 12 heures avant de rapporter l’incident d’abord à ses conseillers politiques, puis à la police. Pour ce délit de fuite, son permis de conduire a été suspendu pendant quelques mois.

Je ne compare pas Kobe Bryant à Edward M. Kennedy. Mais, il y a des parallèles dans leurs destins, chacun ayant brisé celui d’une femme et nul ayant vraiment eu à payer pour son acte. Tous deux ont trouvé le chemin de la repentance, bien que différemment.

Bryant n’a pas eu 41 ans, comme Kennedy, pour presque faire oublier sa violence d’un soir. Pour beaucoup d’entre nous, Ted Kennedy a fait ses preuves en quatre décennies. Mais je parie que pour la famille de Mary Jo Kopechne, que le sénateur a laissé pour morte dans les eaux froides de l’étang Poucha de Chappaquiddick, ces années n’ont rien prouvé. Elles n’ont pas prouvé grand-chose non plus aux journalistes comme Michael Knox Beran du National Review qui, contrairement à certains du Washington Post et du Newsweek par exemple, notait que le moment définitif de la vie d’Edward Moore Kennedy n’avait pas été son mandat qui a marqué le Sénat, ni son rôle de leader moral au sein du corps politique américain, mais qu’il était plutôt ce flagrant moment de lâcheté, 41 ans avant sa mort.

Comment alors juger la réhabilitation de quelqu’un, quand ni le code civil ni la loi n’ont pu en établir les termes ? Quand une réinvention est-elle complète ? Et combien de temps avant de se réconcilier avec quelqu’un qui a fait le mal, mais qui a pris le chemin de la repentance ou du moins, qui a essayé ? Et peut-on vraiment calculé tout ça en années ? Où en intentions ? Combien de cendres doivent brûler pour qu’une renaissance soit acceptable ? Qui y a droit ? Quelles preuves sont suffisantes pour croire en la réinvention d’une personne, au-delà de son rebranding, sa nouvelle image ? Comment décider du moment qui devrait définir une personne, sans se faire accuser de hagiographie ?

Tant de questions. La reconstruction, la renaissance, le réajustement, la réinvention, la repentance, la réconciliation. Nous avons, ces jours-ci, plus de temps pour réfléchir à ces concepts liés. Heureusement, car cette réflexion nous sera encore plus utile, je crois, post-confinement.

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