Samedi soir. On avait oublié de fermer les portes du poulailler. Une nuit claire. Presque la pleine lune. Des milliards d’étoiles. On les a comptées.

Les poules sortent à l’air le jour. Dès que la lumière tombe, elles reviennent « à maison ». Et se perchent. Se « juquent », disent les vieux. C’est comme ça que les oiseaux dorment depuis que le monde est monde, au cas où. Parce que la majorité des dangers rampent au sol la nuit. Se jucher, pour se protéger.

On avait oublié, donc, de fermer les petites portes. C’est armé d’une lampe de poche que le plus jeune s’est habillé. Je l’ai accompagné.

Habillé est un mot optimiste. En ville, on aurait été arrêtés pour indécence ou internés. En plus de l’amende de distanciation.

C’est la pleine lune ce soir (mardi). Une super lune en plus (grosse et orange). Samedi, elle était presque ronde. On faisait des ombres au sol en marchant vers le poulailler. Le ciel avait l’air d’un arbre de Noël. Clair et limpide. Comme un tableau de bord avec un infini de voyants lumineux. Une soucoupe volante.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Pleine lune sur Montréal

« Check, c’est une planète, j’ai dit à l’enfant.

— Comment ça ?

— Des fois, elles s’approchent de la Terre. Ça veut dire que demain, il va falloir planter les épinards.

— Comment ça ?

— C’est comme ça. »

Pas besoin de cours d’astronomie ou d’astrologie, c’était évident. Toutes les raisons sont bonnes. Un jour, vais lui expliquer que les vraies choses sont autant dans les faits quand dans les distances invisibles entre soi et soi.

On a fait quelques recherches et on a découvert que c’était Vénus. Visible pour quelques jours seulement, en début de soirée. Vénus qui est aussi — on l’a appris en cherchant — en Gémeaux jusqu’en août.

Vénus en Gémeaux, ça veut aussi dire que si on tempère ses fantasmes avec une bonne dose de réalité, on va s’en sortir.

Vous jure que c’est vrai. Me suis dit que semer des épinards, c’était une réalité comme une autre.

« T’en as vu souvent des planètes, papa ?

— Plein, chaque fois que je prends mon vaisseau spatial, j’en croise des milliers.

— Arrête de niaiser. »

Il est à l’âge où ce serait encore possible si j’insistais un peu. Je vois le doute dans ses yeux lorsque je lui dis qu’il entrera à Poudlard (l’école des sorciers d’où Harry Potter a sauvé le monde) en septembre.

« Es-tu déjà allé sur Vénus ?

— Oui, une fois ou deux. Mais là on ne peut pas, parce qu’on est confinés. C’est une belle planète, pis on va la protéger en restant ici. Vais t’emmener quand tout ça sera fini.

— T’as un vaisseau spatial ? il a dit incrédule.

— Oui, dans mon storage à l’atelier à New York. Pis quand tout ça sera fini, on va aller faire un tour. »

Il reste quatre semaines. Juste assez de temps pour manger des épinards avant le 4 mai. Avec du beurre. Et aller dans l’espace avant la fin du printemps.

Les oiseaux, comme nous, vont continuer d’avoir peur la nuit. Il n’y aura pas beaucoup de différence entre le monde d’avant et celui d’après. Jetez un regard à la Lune ce soir, vous allez voir.

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