Écouter la science et faire connaître la vérité. David Wallace-Wells a décidé de se confronter aux réalités du changement climatique, comme un journaliste, un citoyen, un enquêteur. Son livre est à la fois un constat terrible, une réflexion sur la dévastation que nous avons provoquée, et un appel passionné à l’action.

Ce livre n’est pas un livre scientifique, il aborde ce que change le réchauffement sur notre façon d’habiter la Terre. Mais que dit la science ? Ce sont des recherches complexes car elles reposent sur deux strates d’incertitude : d’une part, que feront les humains, plus particulièrement en matière d’émission de gaz à effet de serre, et de l’autre, comment se comportera le climat, d’abord pour ce qui est de la chaleur directe puis pour ce qui est de ses réactions en chaîne obscures, parfois contradictoires ?

Mais, même à l’ombre de ces incertitudes, les résultats obtenus par les chercheurs demeurent très clairs, clairs au point d’en être terrifiants, en fait.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publie des évaluations qui constituent l’étalon-or de l’état de la planète et de la trajectoire probable du changement climatique – étalon-or, en partie parce qu’elles restent conservatrices, ne prenant en compte que les conclusions considérées comme irréfutables. Un nouveau rapport est attendu pour 2022, mais le dernier en date affirme qu’en agissant sans tarder pour réduire nos émissions de gaz, si nous mettons en place immédiatement tous les engagements de l’accord de Paris (nulle part véritablement lancés), nous obtiendrons certainement un réchauffement d’environ 3,2 °C, soit une augmentation trois fois supérieure à celle que la Terre a connue depuis le début de l’industrialisation. Au point de placer l’impensable destruction de la banquise non seulement dans le domaine du réel, mais aussi du présent. Ce qui finirait par provoquer la submersion de Miami, Dhaka, Shanghai, Hong Kong et d’une centaine d’autres villes dans le monde. Le point de bascule tourne autour de 2 °C : à en croire plusieurs études récentes, même avec une cessation rapide des émissions de GES, nous atteindrions ce niveau d’ici la fin du siècle.

Les assauts du changement climatique ne s’arrêtent pas en 2100 ; simplement la plupart des modèles, par convention, s’interrompent là.

C’est pourquoi certains climatologues ont surnommé la centaine d’années suivantes « le siècle de l’enfer ».

Le phénomène est rapide, beaucoup plus rapide apparemment que nous ne sommes capables de l’appréhender et de nous l’avouer, mais il dure aussi beaucoup plus longtemps que nous ne pouvons vraiment l’imaginer.

Si vous lisez des articles sur ce thème, vous croiserez souvent des analogies fondées sur les annales de la planète : la dernière fois que la Terre a connu un tel réchauffement, le niveau de la mer était à telle hauteur, logique. Ces conditions ne sont pas une coïncidence. Si la mer était aussi haute, c’est en grande partie parce que la Terre était à cette température et le registre géologique est le meilleur modèle que nous ayons pour comprendre un système climatique aussi complexe et apprécier l’ampleur des dégâts provoqués par une hausse de 2, 4 ou 6 °C. Des recherches approfondies sur l’histoire de notre planète laissent entendre que les modèles climatiques actuels pourraient sous-estimer de moitié le réchauffement qui nous attend d’ici à 2100 – ce n’en est que plus inquiétant. Pour dire les choses clairement, l’augmentation des températures pourrait bien finir par être le double de ce que prédit le GIEC. Si nous atteignons nos objectifs de Paris concernant les émissions de gaz à effet de serre, les 4 °C de réchauffement sont encore possibles, et les forêts tropicales seraient transformées en savanes dominées par le feu. Les auteurs d’un article récent suggéraient que le réchauffement pourrait être encore plus dramatique – une coupe nette dans nos émissions pourrait tout de même nous mener à 4 ou 5 °C supplémentaires, scénario, selon eux, qui mettrait gravement en péril l’habitabilité de la planète entière. « La Terre sous serre », disent-ils.

Ces chiffres sont si bas que nous avons tendance à minimiser – 1, 2, 4, 5 °C, quelle différence ? L’expérience et la mémoire des Hommes n’offrent aucune bonne analogie quant à la meilleure manière d’envisager ces seuils, mais il en va de la hausse des degrés comme des guerres mondiales ou des récidives du cancer, mieux vaut éviter d’avoir à en subir ne serait-ce qu’une. À + 2 °C s’amorce le déclin de la banquise, 400 millions de personnes souffriront du manque d’eau, les principales villes de la région équatoriale deviendront invivables et même les latitudes les plus au nord seront frappées par des vagues de chaleur responsables de milliers de morts chaque été. L’Inde subira trente-deux fois plus de canicules extrêmes, chacune cinq fois plus longue qu’aujourd’hui, touchant quatre-vingt-treize fois plus de personnes. Nous avons affaire là au scénario le plus optimiste. À + 3 °C, l’Europe du Sud connaîtra une sécheresse permanente, la durée de sécheresse moyenne sera rallongée de dix-neuf mois en Amérique centrale, de vingt et un dans les Caraïbes. En Afrique du Nord, la durée en sera prolongée de soixante mois, soit cinq ans. La surface de terres dévastées par des incendies chaque année doublerait en Méditerranée et serait multipliée par six, au moins, aux États-Unis.

À + 4 °C, ce sont huit millions de cas de dengue supplémentaires chaque année pour la seule Amérique latine et quasiment une famine mondiale par an.

Il pourrait y avoir une augmentation de 9 % des décès liés à la chaleur. Les dégâts provoqués par les crues des rivières seraient multipliés par trente au Bangladesh, par vingt en Inde et par presque soixante au Royaume-Uni. Dans certains endroits, six catastrophes naturelles consécutives au climat pourraient frapper simultanément et, à l’échelle de la planète, le coût des dégradations pourrait dépasser les 600 000 milliards de dollars – plus de deux fois la richesse existante dans le monde aujourd’hui. Les conflits et les guerres pourraient être deux fois plus nombreux.

Même si nous parvenons à maintenir la Terre juste en dessous des + 2 °C, notre atmosphère contiendra alors 500 parties par million de dioxyde de carbone – davantage peut-être. La dernière fois que c’est arrivé, il y a seize millions d’années, les températures sur la planète n’étaient pas 2 °C au-dessus, mais entre 5 et 8, et le niveau de la mer environ quarante mètres plus haut, la ligne côtière américaine au niveau de l’I-95, à 200 km de la côte actuelle. Certains de ces processus se développent sur des milliers d’années, mais ils sont irréversibles, donc en réalité permanents. Vous espérez peut-être simplement inverser le changement climatique ? C’est impossible. Il se poursuivra après nous.

PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS ROBERT LAFFONT

La Terre inhabitable-Vivre avec 4 °C de plus, David Wallace-Wells, Éditions Robert Laffont, 392 pages.

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