Notre collaborateur Marc Séguin vous propose une réflexion sur d’autres aspects du quotidien.

Il a fait un temps pour se mettre de la crème solaire. Le sol dégèle, une bouette pas possible sur les chemins de la forêt. Le plus jeune a trébuché en ramassant des chaudières et s’est beurré solide. Il a trouvé un petit ruisseau et s’est lavé. Pour continuer comme si de rien n’était.

Hier, après l’épisode de boue, je faisais bouillir tranquille avec lui. En mangeant des pistaches en écales, qu’on prend le temps d’ouvrir une à une, telles des secondes qu’on découvre, pour ensuite les lancer dans le trou du feu sous l’évaporateur. Un mélange de basket et de pétanque ; on compte les points et on imagine que c’est les Canadiens en finale de la Coupe Stanley. On a aussi jasé un peu, et on a rentré du bois pour chauffer le sirop. On s’est fait des échardes presque en même temps.

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« En mangeant des pistaches en écales, qu’on prend le temps d’ouvrir une à une, telles des secondes qu’on découvre », écrit Marc Séguin.

— Tu vas aller travailler à NYC bientôt ?

— Je pense pas, non. C’est pire là-bas.

— Moi, j’aime ça quand t’es ici.

J’aurais voulu lui dire, pour le rassurer, que ça prendrait des années avant que « comme avant » revienne. J’ai laissé couler le bonheur de ces secondes sans rien dire. Moi aussi, j’ai pensé.

Un premier maringouin, des mouches, des araignées. Et ça fait trois jours qu’un chien errant vient manger le suif des oiseaux.

Pas capable de l’attraper. Trop farouche. On s’obstine beaucoup à la maison ; certains pensent qu’il a un collier et d’autres, non. Il a les yeux doux. Le plus jeune a demandé si on pouvait le garder.

— Suis sûr qu’un beau chien comme ça appartient à un enfant qui doit s’ennuyer…

J’ai été fier, et surpris, de trouver les bons mots rapidement pour mettre fin à une situation de désir impossible.

Silence.

J’adore quand les grandes leçons sont déguisées en petites raisons.

Parce que, je le répète, j’aime beaucoup qu’on ait à repenser et réinventer les heures autrement depuis deux semaines. La résilience n’est pas seulement dans l’anxiété débile et maniaco-dépressive d’une économie malade et fragile (on vient de s’en rendre compte !) qu’on veut maintenir en vie comme si le sort du monde en dépendait. Elle est aussi dans les pogos.

Parce qu’on a fait un repas de pogos en rentrant de la cabane ce soir-là. Une demande de la plus jeune des filles, qui n’en avait jamais mangé. Avec des tests de saveurs, comme à la tivi, pour savoir si c’était meilleur avec du ketchup, de la moutarde jaune ou de la mayonnaise. Ça faisait plusieurs décennies que je n’en avais pas mangé. Le résultat est surprenant, on s’en doute : c’est génial avec tout…

Demain, on retourne faire bouillir. On va continuer de s’inventer autrement. Je n’ai pas peur ; il y aura encore un sac de pistaches entre nous.

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