La situation pourrait être catastrophique pour des milliers de femmes et d’enfants.

Soyons clairs. La violence conjugale ne cessera pas en contexte de crise, elle augmentera fort probablement. Il est urgent de voir venir pour mieux planifier et prévenir.

La peur, l’anxiété, l’insécurité, le grand stress économique et la charge familiale qui s’ajoutent au vécu des familles risquent de devenir des facteurs pouvant précipiter une escalade de violence. Déjà beaucoup trop de femmes et d’enfants ne se sentent pas en sécurité dans leur maison.

Si ce fait devrait nous interpeller à longueur d’année, on comprendra que leur demander de rester davantage au domicile pourrait les confiner aussi dans la dynamique de la violence conjugale et se traduire par une plus grande exposition à la violence des enfants. Particulièrement si les moyens déployés négligent les aspects psychosociaux d’une gestion de crise qui n’a aucune mesure avec ce que nous avons vécu précédemment. Dans le contexte où les choix politiques des gouvernements successifs en affaiblissant les services publics ont à la fois fragilisé les trajectoires de vie des personnes les plus vulnérables et diminué la capacité du réseau de les soutenir, les services sociaux et communautaires seront mis à rude épreuve autant que le seront les services de santé.

Nous devons nous mobiliser tous, rapidement, pour que la pandémie ne précipite aucune femme ni aucun enfant dans une dynamique à risque encore plus élevé de violence conjugale.

D’abord, il serait souhaitable que le gouvernement Legault, dans un de ses points de presse, réaffirme le caractère criminel de la violence conjugale au Québec.

Comme il a été fait en France, un message ferme doit être envoyé à la fois aux auteurs de violence, mais aussi aux victimes de violence conjugale qui gagneraient à entendre que l’État prend position relativement à une problématique sociale qui ne cesse pas en temps de crise d’être un enjeu de santé publique. Des lignes directrices claires doivent être données aux services de police quant au maintien de la judiciarisation des situations. Les victimes ont aussi besoin de savoir que leur situation sera prise au sérieux à la suite de leur appel au 911 et qu’elles auront des mesures de protection pour elles et leurs enfants.

S’il est difficile de prévoir l’évolution de la pandémie, nous pouvons entrevoir le moment où les services de police seront aussi surchargés. Dans d’autres pays, « plus avancés » que nous en termes de crise sanitaire, les policiers sont devenus davantage des agents de contrôle de confinement et d’application de mesures de santé publique, ce qui a pour effet de banaliser la violence conjugale et de limiter les mesures de protection à la disposition des victimes.

Il nous faut réfléchir dès maintenant à un meilleur arrimage des interventions, particulièrement dans les dossiers évalués à risque élevé. Cette crise doit être le moment où tous les acteurs concernés réussissent à travailler ensemble autour d’un objectif commun : prévenir l’aggravation des situations de violence conjugale et, bien sûr, des homicides. C’est le moment de dégager la marge de manœuvre et les moyens indispensables à la concertation pour faire front commun autour de la gestion efficace du risque.

Système de justice

Le système de justice adapte déjà son fonctionnement. L’autorisation des plaintes se poursuit, comme les services aux victimes qui continuent d’être contactées par téléphone. Les dossiers des prévenus détenus font l’objet d’une attention particulière. L’évaluation rigoureuse du risque doit se maintenir de même que la concertation en place, notamment à Montréal, entre les intervenantes sociales et les procureurs de la poursuite.

Encore une fois, une possible aggravation de la pandémie mettra à rude épreuve les différents systèmes et testera leur capacité d’adaptation. La Cour supérieure doit permettre le recours aux ordonnances de sauvegarde dans les situations urgentes qui impliquent une réponse rapide au niveau de la garde d’enfants et des modalités de droits d’accès dans le contexte d’une situation à risque en violence conjugale et familiale.

La concertation entre les systèmes, les intervenants et les organisations impliquées, y compris les ressources pour les auteurs de violence, est encore une fois une condition essentielle.

Les organismes qui offrent des services aux conjoints sont en effet aussi aux premières lignes pour évaluer les facteurs de risque, le niveau de détresse et le contexte de cumul de pertes pouvant se traduire par une escalade de violence importante et un danger imminent. Il faut les inclure.

Il faudra également planifier les services pour éviter que l’étau se resserre autour des choix et que la seule avenue pour les femmes victimes de violence et leurs enfants en danger soit éventuellement pour elles de rester au domicile. Cela signifie certainement de réfléchir en prévention à ce qu’implique l’identification de maisons d’hébergement dédiées pour les cas dépistés positivement.

Le travail est immense et ne pourra se faire sans que l’on considère à leur juste mesure les craintes justifiées des personnes qui travaillent auprès de cette clientèle. La protection des intervenants des réseaux sociaux, communautaires et judiciaires est aussi prioritaire de même que l’accès à des outils de dépistage particulièrement pour les milieux de vie.

Le défi à relever demandera donc un effort concerté de l’ensemble des ressources et des intervenants : services de police, services à la cour, maisons d’hébergement, procureurs, avocats de la défense, magistrature, intervenantes de liaison en santé mentale en milieu judiciaire et services pour les auteurs de violence.

Déjà, plusieurs milieux communautaires sont comme toujours créatifs et adaptent leurs services. Des listes de ressources sont régulièrement mises à jour et circulent de façon formelle et informelle.

Des appels à la solidarité et à penser à la collectivité fusent de partout. Chacun d’entre nous doit sortir de ses comportements individualistes aussi face à la violence conjugale. Amis, famille, voisins : la violence conjugale est l’affaire de tous et nous devons aussi individuellement nous sentir concernés. Il est temps pour nous de resserrer nos liens et le maillage du filet de protection. Et, lorsque nous sortirons de cette crise, puisque nous nous en sortirons, nous pourrons compter sur un réseau plus cohérent et sur des liens plus forts pour mieux soutenir et protéger les victimes de violence conjugale et leur famille. Nous pouvons le faire.

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