Pour ces mémoires politiques de l’ex-ministre péquiste et chef du Bloc québécois, Nathaly Dufour prête sa plume à Martine Ouellet, dont elle a été l’attachée politique.

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Nathaly Dufour

4 juin 2018 

La salle me semble froide, malgré la douceur de cette journée de juin. Mon cœur bat à tout rompre. Je jette un regard sur mes mains pour m’assurer qu’elles ne tremblent pas. Non, je ne leur donnerai pas la satisfaction de me voir fragile. Je m’avance vers le lutrin sous le crépitement des appareils photo. Je ne me suis jamais vraiment habituée à ce qui ressemble fort à des tirs de mitraillettes. Je sais que nous sommes en direct à RDI et LCN. Non, je ne leur ferai pas le plaisir d’être fragile.

J’ai compris depuis belle lurette que de montrer ses faiblesses, en particulier en politique, se transforme souvent en une invitation, non pas à l’intimité ou à la camaraderie, mais à la manipulation. On vous a dit que je ne faisais pas confiance facilement ? Ce n’est pas exactement ça. Je présume de la bonne foi des gens et je laisse systématiquement la chance au coureur. Tout le monde peut faire des erreurs. Je deviens plus impatiente quand je ne constate pas de volonté d’avancer ou de corriger le tir. Ça va de soi, il me semble, non ? Mais n’allez pas croire tout ce qu’on vous a raconté ! Quand c’est rendu qu’une émission de radio invite deux psychologues pour faire ta thérapie en ondes, en ton absence, on comprend que la situation est devenue carrément surréelle.

— Madame Martine Ouellet, chef du Bloc québécois, annonce Antoni, attaché de presse au Bloc québécois.

Une fois rendue au lutrin, j’invite à me rejoindre celles et ceux qui sont restés solides jusqu’à ce jour, dont les députés Marilène Gill et Xavier Barsalou-Duval. Je me lance, pas le choix. Je n’ai pas l’habitude de me défiler.

J’ai pris acte du résultat [du référendum] hier après-midi. Vous savez, je suis venue au Bloc québécois non pas pour un titre, mais pour une cause. Depuis un an, j’ai vu et vécu ce qu’il y a de plus beau en politique et dans le Mouvement indépendantiste : la force de ses gens, la force de ses idées. Mais j’ai vu et vécu aussi ce qu’il y a de plus laid en politique, de même que les grandes faiblesses du Mouvement indépendantiste…

Dans ma tête, j’imagine déjà les grands bonzes de l’attentisme se frotter les mains et saliver – ce qu’ils font depuis un bon bout déjà – à l’idée de mon départ. J’imagine également qu’ils espèrent que je quitterai mon poste « dignement ».

Ce qui veut dire, dans leur langage, sans faire d’éclats, sans blâmer personne, sans révéler quoi que ce soit qui pourrait leur nuire. Bref, partir doucement, comme une gentille femme bien dressée. Quoi ? Vous croyez que j’exagère ? Mario Beaulieu a tout de même dit qu’il n’arrivait pas à m’encadrer. Rien de moins ! Avez-vous déjà entendu un député ou un président du Bloc québécois prétendre vouloir encadrer Gilles Duceppe ? C’est bien ce que je pensais…

[…]

Je suis très fière de ce que l’on a réalisé depuis un an. Ça n’a pas été rapporté beaucoup, mais dans les périodes d’accalmie, entre deux crises, l’appui au Bloc, sous ma chefferie, est monté à 30 % dans les sondages. Et ce n’était même pas tout le monde qui ramait dans le même sens.

[…]

Pour moi, le travail d’un parti indépendantiste à Ottawa, ce n’est pas d’améliorer le régime canadien, c’est d’en sortir. Le fait que je parle d’indépendance dans tous les dossiers, ça dérange. Ça dérange nos adversaires canadianistes, normal. Mais ça dérange même des indépendantistes… pas normal. […] J’ai donc été très surprise de voir que ça dérangeait.

Surprise et, graduellement, découragée, je l’avoue, de voir que la peur, ce sentiment délétère, était ancrée profondément dans une certaine faction du Mouvement.

[…]

Nous ne sommes pas habitués à entendre une personnalité politique expliquer ce qui s’est réellement passé, à l’entendre nommer les choses et les gens. Ça aussi, ça dérange.

On se contente plus souvent qu’autrement des « raisons familiales ou personnelles » lorsqu’il y a un départ en politique. J’ai milité pendant plus de 30 ans et je peux vous garantir une chose, la famille, c’est bien commode. Combien de fois ai-je vu des femmes ou des hommes politiques se faire tasser, bousculer, intimider, isoler sans jamais que leurs électeurs le sachent ? Avaler sa pilule et partir sans faire de vagues est de mise. Pourtant, ne nous prétendons-nous pas avides de vérité, épris de justice ? À une époque où les rumeurs et les « fake news » se propagent à vitesse 5G, n’est-il pas plus que jamais pertinent de connaître les faits afin de se forger une opinion ? À voir la réaction de certains, on peut en douter. Mais posons-nous la question : à qui sert cette omertà sur la vérité ?

On m’a souvent suggéré d’écrire mes mémoires et j’ai toujours refusé. Alors pourquoi maintenant  ? Parce que j’ai pu constater, depuis ce jour de juin 2018, à quel point on avait dénaturé ce que je suis, ce que je fais, ce à quoi j’aspire. Personne n’aime qu’on brosse un tableau sombre à son propos. Mais au-delà des blessures d’ego, ce sont les trahisons qui font mal. Ce sont les agendas cachés qui nuisent. Les intérêts personnels qui passent loin devant ceux du bien commun. Car c’est bien de ça qu’il s’agit. Notre avenir collectif, nos aspirations comme peuple. Taire ce qui se trame dans les officines de ceux qui manipulent les masses, c’est irresponsable. C’est vrai lorsque l’on parle de la manipulation des gouvernements et de la population par les multinationales, de celle affirmée et assumée par les Power Corporation d’empêcher à tout prix que le Québec devienne indépendant. Mais c’est également vrai lorsque, au sein même du Mouvement indépendantiste, des guerres larvées menées par des tenants du confort font en sorte d’expulser ou de nuire à ceux et celles qui veulent avancer.

Alors m’adresser directement à vous, vous raconter mon histoire ? Absolument. Maintenant, plus que jamais.

P.-S. – Oui, j’ai versé une larme, finalement…

Et comme de raison, c’est la photo qui a été publiée sur toutes les unes…

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Martine Ouellet – Oser Déranger, Nathaly Dufour, Québec Amérique, 248 pages.

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