On dira ce qu’on voudra de la piètre performance d’Andrew Scheer lors de la dernière campagne électorale fédérale, il n’en reste pas moins qu’il a fait un cadeau aux conservateurs en ne s’accrochant pas plus longtemps à son poste, avec les effets désastreux que cela aurait pu avoir sur son parti.

Cela a permis une course à la direction dont le gagnant, le 27 juin prochain à Toronto, pourrait bien devenir le prochain premier ministre du Canada. Les libéraux, au contraire, apparaissent condamnés à retourner au combat dans un an et demi ou deux avec le même Justin Trudeau, dont le personnage s’est beaucoup usé en quatre ans, à la tête d’un gouvernement minoritaire ayant obtenu moins de suffrages que les conservateurs.

Un chef bilingue

Pour les Québécois, il n’est pas négociable qu’un éventuel premier ministre conservateur sache véritablement parler le français. Cela ne va pas de soi pour bon nombre de Canadiens et de commentateurs anglophones qui oublient qu’une partie de l’échec de M. Scheer est attribuable à sa maîtrise insatisfaisante de la langue de Molière.

Lors du crucial débat des chefs à TVA, cela l’avait laissé sans défense face à l’impitoyable gang bang à son détriment de tous les autres candidats sur la question de l’avortement. Cela a fait ressortir le prix à payer pour être si peu exigeant sur les critères amenant à considérer un politicien fédéral comme bilingue.

Pour les Québécois, il est également important que le Parti conservateur adopte des positions plus modérées sur les questions sociales, revenant à une version modernisée du Parti progressiste-conservateur de l’époque de Brian Mulroney. Il est révélateur que ce dernier ait donné son appui à mots couverts à M. Trudeau plutôt qu’à M. Scheer lors des dernières élections.

Comment se recentrer sur le plan idéologique et territorial tout en ne perdant pas son âme conservatrice sans parler de ses partisans de base, considérant que les conservateurs ne pourront jamais rivaliser en matière de progressisme avec les libéraux, les néo-démocrates et les bloquistes ?

Ce qui peut sembler la quadrature du cercle pourrait se révéler un défi plus facile à relever qu’il n’y paraît. Les appuis massifs aux conservateurs dans les Prairies proviennent en effet d’un électorat captif qui peut difficilement envisager de voter pour des libéraux ou des néo-démocrates qui seront toujours plus à gauche et plus environnementalistes que les conservateurs.

Jean Charest

Un autre élément jouant en faveur d’un renouvellement du Parti conservateur est le fait que cette course à la direction suscite un intérêt exceptionnel. Cela ne manque pas de contraster avec ce à quoi les Québécois auront droit cette année au sein du Parti libéral du Québec, où le moins que l’on puisse dire est qu’il n’y pas foule au portillon pour devenir chef.

On peut penser ce qu’on veut d’une candidature possible de l’ancien premier ministre libéral québécois et chef progressiste-conservateur Jean Charest, il n’en reste pas moins frappant qu’elle soit prise au sérieux par tout le monde tout en ayant immédiatement augmenté le niveau d’intérêt pour cette course.

À ceux qui invoqueront les soupçons de corruption qui pèseraient encore sur M. Charest dans la foulée de la commission Charbonneau et de l’UPAC, ses partisans pourront répondre qu’on a fouillé pendant des années le passé de l’ancien premier ministre sans jamais retenir quoi que ce soit contre lui, ce qui en dit plus long sur l’incompétence d’institutions largement discréditées que sur une culpabilité hypothétique de M. Charest.

Un des favoris pour l’emporter dans cette course conservatrice est un inconnu des Québécois, Pierre Poilievre, député de l’Est ontarien originaire de l’Alberta qui, lui, est véritablement bilingue. On ne sait si le fait qu’il a épousé une réfugiée du Venezuela sera suffisant pour faire oublier qu’il a déjà été considéré comme pro-vie, les origines slovènes de Melania Trump n’ayant pas empêché les prises de position rétrogrades de son mari.

Le bon choix, cette fois ?

Se lancera peut-être dans la course un autre candidat vedette, l’ancien ministre Peter MacKay, représentant, avec Jean Charest, l’aile gauche du parti. Plus Erin O’Toole, qui était arrivé troisième dans la course à la direction précédente, le Québécois Gérard Deltell et d’autres.

PHOTO PATRICK DOYLE, LA PRESSE CANADIENNE

« Pour les Québécois, il n’est pas négociable qu’un éventuel premier ministre conservateur sache véritablement parler le français », écrit Christian Dufour.

L’ancienne cheffe intérimaire du parti, Rona Ambrose, semble avoir renoncé à se présenter, une mauvaise nouvelle pour ceux qui apprécient son incontestable compétence, mais une bonne chose pour ceux qui ne veulent pas d’une éventuelle première ministre du Canada incapable de maîtriser le français.

L’enjeu est de taille, car les conservateurs n’ont plus le droit à l’erreur. Le pouvoir semble pour eux à portée de main s’ils sont capables de faire cette fois-ci le bon choix : celui d’un chef bilingue incarnant un conservatisme modéré dans lequel se reconnaîtraient, d’un océan à l’autre, ces Canadiens las du progressisme sans mesure du gouvernement Trudeau.

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