Je vais être honnête avec toi : je ne te connaissais pas avant hier. Ni ton nom, ni ta chaîne, ni ton expertise en caméras cachées, pranks et expériences sociales (sic).

C’est mon fils de 10 ans qui m’a parlé de toi. Tu ne le connais pas, mais il fait partie du demi-million de disciples qui suit ta chaîne. Il était tout excité de me raconter une de tes dernières vidéos, celle où tu découvres une tombe étrange, alors que tu faisais de la détection de métal avec ta bande de potes. D’un indice à l’autre, vous finissez par débusquer un joli pactole dans une grotte. Tu te le rappelles forcément, tu en as fait trois épisodes et décroché des millions de vues. C’est vraiment un hobby lucratif, la détection de métal…

Mon fils était tout émerveillé de ton aventure à la Jack Sparrow. Je l’ai écouté me résumer tes capsules avec la méfiance plate de l’adulte qui en a vu d’autres, mais sur le coup, je n’ai rien dit. J’ai même accepté de regarder la vidéo avec lui. Pour tout te dire, cher youtubeur, je n’ai pas trop embarqué dans ton épopée.

Pas besoin d’avoir suivi un cours avancé en fake news pour comprendre que tes pranks, c’est aux gens qui regardent tes vidéos que tu les fais. Sauf que mon fils, lui, il a tout gobé. Spontanément. Aveuglément.

Tu vas me dire qu’il faut officiellement avoir 13 ans pour utiliser YouTube. C’est vrai. Je doute toutefois que mon fils soit la seule brebis égarée, alors que même les écoles primaires se servent parfois de la plateforme en classe. Tu vas me dire que ce n’est pas grave. Tu ne prédis quand même pas la fin du monde pour mars 2020, tu ne proclames pas que le brocoli cause le cancer des orteils. Tu n’as pas de prétentions scientifiques, tu ne fais pas de documentaires ou de manuels scolaires.

Tu fais du di-ver-tisse-ment.

Ce n’est pas bien méchant, non ? Peut-être. Mais peut-être pas…

Au Québec, il n’y a pas de YouTube Kids pour filtrer les contenus. Ici, le filtre, c’est nous, les parents. Et je te jure, cher youtubeur, je fais tout mon possible pour jouer mon rôle de mère moderne qui accompagne et outille son enfant dans le merveilleux monde du numérique. J’essaie de bodybuilder son esprit critique, de lui apprendre à distinguer le vrai du faux, de lui expliquer que les meilleures caméras, les effets spéciaux et les arguments pseudo-scientifiques ne sont pas un gage de fiabilité. Je fais au mieux.

Mais des fois, j’ai l’impression que le mandat me dépasse. Tu vends du fantastique, du sensationnel, du mystérieux. Je casse son fun avec des faits rationnels. Ce rapport de forces inégal, je le ressens comme mère, je le ressens comme journaliste scientifique. Dans ton univers, les aliens et la zone 51 ont plus de succès que les ondes gravitationnelles.

Entendons-nous. Je n’ai rien contre les histoires. J’en raconte moi-même comme auteure jeunesse. La différence, c’est que je n’essaie pas de convaincre les foules que mes histoires sont réelles.

Depuis le web, les légendes urbaines et les théories du complot sont décuplées, embrouillées. Cher youtubeur, tu n’es pas le seul à flirter avec la mince ligne qui sépare le sensationnalisme de la supercherie. Même Squeezie s’est mis les pieds dans les plats avec sa vidéo sur les pyramides, en misant sur le fantastique au détriment de la science. Il s’est rapidement excusé (lueur d’espoir), mais la vidéo originale circule toujours, forte de ses 6,9 millions de vues… soit plus que toutes les vidéos de la NASA, à deux exceptions près.

Cher youtubeur, tes vidéos sont peut-être des coups montés inoffensifs, mais ce n’est que le premier palier avant les impostures de haut niveau qui attendent mon fils. Et ça m’inquiète. Je ne crois pas que le débat soit de savoir s’il faut interdire YouTube aux enfants. Ces plateformes font déjà partie de leur vie. Si ce n’est pas YouTube, ce sera TikTok, Twitch ou la prochaine application à la mode. La solution ne peut pas reposer uniquement sur mon garde-fou parental. Les armes sont trop inégales. Mon tire-pois contre votre artillerie lourde. Mon gros bon sens contre vos millions de likes. Pensons-y ensemble. Préparons nos enfants à ce qui les attend. Ça ne t’empêchera pas de publier des faux pranks, si ça t’amuse. Peut-être juste de mettre un peu moins de « ment » dans ton divertissement…

Sans rancune, mais sans like.

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