Quelques mois après le début de la pandémie, des sans-abri s’installent sur un terrain qui longe la rue Notre-Dame. Un campement voit le jour. L’observation de ce phénomène inusité à Montréal suscite un questionnement sur l’existence d’un lien entre la pandémie et cette installation urbaine inédite. En effet, ce lien existe, mais d’une manière différente que celle que l’on puisse supposer.

La pandémie, source de nuisances pour la majorité de la population, s’est avérée être profitable pour les sans-abri. Elle a généralisé l’état de crise qui, normalement, est une condition qui leur est propre et a mené à leur « coming out ». Désormais, ils ne sont plus les seuls à être en difficulté. Ils font partie d’un ensemble qui les dépasse et qui les unit à la ville, au pays, puis au reste du monde. Dé-stigmatisés, ils forment une communauté qui acquiert le pouvoir par le nombre (celui de la population mondiale), osent la visibilité et forment un campement en plein centre de Montréal.

Être visibles sans être stigmatisés est une nouvelle réalité pour les occupants du campement. L’aide organisée et spontanée afflue. Leur situation est médiatisée, ils créent leurs pages dans les médias sociaux et leurs voix sont entendues. Ils forment une entité reconnue et s’auto-organisent. Leur appropriation du terrain de la ville, bien qu’illégale, découle de la libre possibilité de contrôler l’espace. Ils créent, malgré la précarité structurelle de leurs abris, des chez-soi identitaires. En témoignent un sapin de Noël dans un semblant de place publique, deux chaises en bois tapissées devant une tente de fortune, des guirlandes de lampes colorées, ainsi que d’autres objets personnalisant l’espace.

Le 7 décembre dernier, le campement est démantelé, assez violemment d’ailleurs. Les privilèges acquis par les campeurs de Notre-Dame disparaissent. Ils sont réduits à nouveau à l’invisibilité, dissipés dans la masse et privés des systèmes de support qui se sont formés autour d’eux.

Les acteurs publics et privés impliqués dans la gestion de ce dossier s’entendent sur le fait que, pour réduire l’itinérance, des logements permanents sont requis. Or, des logements sociaux ne pourraient à eux seuls résoudre le problème du sans-abrisme. Pour les raisons suivantes.

D’abord, le concept d’une architecture sociale visible risque de stigmatiser des personnes à la recherche d’invisibilité. De plus, cette solution « top down » laisse un choix limité aux sans-abri quant à l’emplacement et à la configuration de leur logement et constitue par là-même une atteinte à leur dignité. En outre, l’aspect le plus déficient dans cette approche est sa non-durabilité : offrir un logement sans des moyens pour générer des revenus n’est pas pérenne. Finalement, cette stratégie unifiée implique l’homogénéité des sans-abri, les réduisant à une masse uniforme, caractérisée uniquement par l’itinérance. Or, parmi les sans-abri, il y a des personnes socio-économiquement vulnérables, mais aussi des victimes de violence, des personnes souffrant d’addictions et d’autres souffrant de maladies mentales. Il y en a aussi pour qui l’itinérance est un style de vie délibérément adopté.

On en déduit que la réponse au problème de l’itinérance ne peut être la même pour tous les sans-abri. Chaque type de situation nécessite une solution qui traite le problème à l’origine. Ces solutions doivent essentiellement se focaliser sur le renforcement des capacités économiques et être en rapport avec la santé des sans-abri (créations d’opportunités d’emploi, traitement des addictions et des maladies mentales, etc.), menant ainsi à leur indépendance économique. L’autonomie des sans-abri serait un outil efficace pour leur ré-inclusion sociale. Elle éviterait leur installation informelle dans des conditions de vie précaires, ou leur installation formelle dans une architecture sociale qui leur serait imposée. Leur autonomie leur permettrait de se loger dignement et d’une manière durable. Ils auraient la liberté de choisir selon leurs moyens, mais également selon leurs aspirations, leurs logements, leur voisinage et leurs quartiers.

* Cosignataires : Giovanni di Paoli, professeur émérite à la faculté de l’aménagement de l’École d’architecture de l’Université de Montréal, et François Crépeau, professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université McGill

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