C’est une chose d’entendre des malheurs aux nouvelles, et une autre d’en voir de ses propres yeux. L’été dernier, j’ai décidé de prêter main-forte aux CHSLD durant trois mois, car la demande de travailleurs était criante. Je me promenais de chambre en chambre, toujours le sourire aux lèvres, même si les résidants ne pouvaient pas voir que je souriais. Masque, visière, gants, lunettes et blouse rendaient le contact difficile. J’ai observé la santé mentale des résidants se détériorer de jour en jour, et j’ai vu plusieurs d’entre eux pleurer leur malheur et leur solitude.

À la fin du confinement de l’été, j’ai dû choisir ceux qui auraient le « privilège » de voir la lumière du soleil et de respirer un peu d’air frais, car je pouvais seulement emmener un résidant à la fois. Il m’a été difficile de perdre des résidants auxquels je m’étais attachée. Un jour, on dansait, un autre, je ramassais leurs effets personnels. Je ne pouvais pas m’empêcher de tenir la main de ceux qui pleuraient, même en zone rouge. Comment refuser un câlin à une vieille dame ? Le contact humain est nécessaire à leur bien-être. Sur un étage, 10 chambres vides et 10 chambres de personnes malades créaient une ambiance sinistre. J’avais beau coller les coloriages d’arcs-en-ciel des résidants sur les murs, l’atmosphère restait morose.

La santé physique des aînés a été priorisée en contexte de pandémie, au prix de la privation de tout contact humain. Cela a gravement affecté leur état émotionnel.

On les a limités à très peu d’interactions et d’activités sociales. De nombreux résidants ne comprennent pas la situation actuelle, mais peuvent ressentir l’anxiété du milieu. J’ai dû expliquer à plusieurs que leurs enfants ne les avaient pas abandonnés.

Comment annoncer aux résidants que leur voisin venait de mourir le soir d’avant ? Ils ne comprenaient pas pourquoi ils ne pouvaient pas voir leur ami au bout du couloir. Ils se sentaient prisonniers de leurs quatre murs blancs. Briser une habitude, c’est briser une vie. Le bingo est peut-être seulement un jeu banal pour nous, mais pour eux, il est synonyme d’amitié, d’interaction, de plaisir, de rires, de fierté. Je le sais parce que je les ai connus avant cette pandémie. Je pouvais voir l’étincelle de leurs yeux lorsqu’ils criaient fièrement « BINGO ! ». Leur enlever ce plaisir, cela revenait à détériorer leur état, à piétiner leur bien-être.

Certains résidants pleuraient jour et nuit, et lorsque je parlais avec eux, ils ne pouvaient plus s’arrêter, ils avaient soif d’interactions.

Des études sur la privation sensorielle montrent que l’humain ne peut supporter plus de 48 heures sans aucune stimulation extérieure, sans quoi il commence à perdre ses moyens. J’ai observé comment des résidants autrefois charismatiques et joyeux ont perdu leur joie de vivre. Ceux qui, auparavant, faisaient des progrès, pouvaient faire quelques pas, ont perdu cette autonomie. Ceux qui pouvaient maintenir une simple conversation ont perdu la capacité de parler.

Plusieurs personnes se sont retrouvées enfermées dans leurs chambres, recevant très peu de stimulation.

Des effets sur les travailleurs

Le milieu anxieux et rempli de pleurs et de cris des CHSLD durant cette crise affecte non seulement les résidants, mais également les travailleurs de la santé. Plus du tiers des préposées aux bénéficiaires au Canada sont des femmes migrantes, des femmes qui, depuis bien longtemps, revendiquent une hausse salariale. Le gouvernement, depuis le début de cette pandémie, a promis une hausse de 18 %. Nous voilà presque en 2021 et cette hausse n’a jamais été appliquée. Il n’y a que des « primes » qui sont non significatives par rapport aux sacrifices que ces femmes font. Elles donnent tout ce qu’elles ont pour prendre soin de nos parents et de nos grands-parents. Elles ont risqué leur santé et celle de leur famille en s’exposant au virus. Plusieurs sont exploitées par des agences et ont plus de résidants à leur charge qu’elles ne peuvent en gérer, au prix de leur bien-être.

Il est vrai que les ressources pour la santé mentale sont nombreuses, surtout en pandémie. Cependant, elles demeurent peu disponibles. Les lignes d’aide sont surchargées et les temps d’attente sont éternels. Plusieurs des personnes âgées ne peuvent pas faire usage du téléphone. Alors, comment aider ces personnes ?

Je vous encourage, si la chose est possible, à donner quelques heures de votre temps, ne serait-ce que pour appeler un aîné dans la solitude. L’écrivain Albert Sánchez Piñol a écrit : « tous regardent, peu observent et très peu voient ». Les aînés ont droit au respect et à la dignité ; ils ont besoin d’être vus, vraiment vus. Nous avons la responsabilité de ne pas les oublier.

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