Quand le gouvernement nous parlait de fermer les restaurants, bars, gyms, cinémas et salles de spectacle en septembre dernier, il m’apparaissait clair que ces fermetures étaient conditionnelles à un engagement rigoureux de la part de la population. On ne pouvait pas laisser leurs propriétaires absorber l’entière responsabilité de l’aplatissement de la courbe, il était crucial que les efforts soient répartis équitablement entre tous les Québécois.

Quand François Legault nous a vendu son idée de contrat moral, j’étais fâché. Fâché d’abord pour les gens qui font des sacrifices monumentaux depuis mars et qui n’ont même pas revu leur famille cet été quand les cas étaient au plus bas. Fâché aussi pour les entrepreneurs qui ont dû ou devront mettre la clé sous la porte au cours de cette deuxième vague.

Mais c’était quoi, cette mauvaise blague ? En gros, on nous demandait mollement d’essayer de faire attention pendant quelques semaines – sans vraiment ajouter de mesures dissuasives – pour gagner notre droit de faire un petit plus attention pendant sept jours (et non quatorze tel que prescrit normalement quand on s’expose), célébrer Noël du 24 au 27 décembre, et tenter à nouveau de faire attention pendant sept autres journées.

Mais… on n’était pas déjà censés être en confinement partiel depuis septembre de toute façon ? J’avais peut-être mal compris alors. Parce que moi, j’étais pourtant bien confiné. J’étais persuadé qu’« essayer de faire attention » ne s’appliquait qu’au contexte de relâchement estival quand il n’était pas trop risqué d’inviter des amis à souper. Je croyais naïvement qu’on avait dépassé depuis longtemps l’étape d’essayer de faire attention et de réduire nos contacts. Je pensais qu’on était plutôt dans l’action et dans le sacrifice.

Dans la façon de communiquer les directives, j’ai souvent l’impression qu’on fait passer les règles d’hygiène de base pour des consignes nouvelles qu’on recommande d’appliquer dès maintenant. Et on nous promet même une récompense si on accepte de bien vouloir les suivre. C’est ça qui est insultant pour ceux et celles qui les respectent rigoureusement depuis le printemps dernier.

Lors du point de presse du 3 décembre dernier, Horacio Arruda implorait les Québécois de commencer dès maintenant à faire attention et de ne pas attendre au répit des Fêtes pour appliquer les consignes.

Mais je rêve ou quoi ? Commencer, vraiment ? C’est moi qui suis de mauvaise foi ou ce n’est pas du tout anodin comme choix de mot ? C’est une véritable claque sur la gueule pour quiconque n’a pas relâché depuis des mois.

Je n’ai pas pris le métro depuis le 15 mars dernier. Je fais tout livrer. En tout et partout, j’ai passé 45 minutes avec mes parents à l’extérieur et à deux mètres de distance depuis le début de la crise. J’ai vu mon frère une seule fois. Personne n’a mis le pied dans mon appartement depuis des lunes. J’ai fêté mon trente-sixième anniversaire seul. Alors, pardonnez-moi si le recours aux verbes « commencer » et « essayer » au neuvième mois de la pandémie me fait perdre mon calme.

Je me mets à la place des restaurateurs qui eux n’ont pas le luxe de « commencer » ou « d’essayer » de faire attention et qui, impuissants, regardent les cas et les hospitalisations monter chaque semaine et leur espoir de rouvrir prochainement fondre du même coup. Ils voient les gens s’entasser dans les centres commerciaux pendant le Black Friday. Les trottoirs de Montréal débordent la fin de semaine et on fait la file devant les commerces non essentiels. Impossible de pratiquer la distanciation physique. On magasine notre sapin de Noël entre amis au Marché Atwater. On s’installe au bureau sans porter le masque malgré les nouvelles recommandations de la Dre Tam. On réserve un voyage dans le Sud bien peinard et on se paie un restaurant pour notre anniversaire dans une zone orange. Je ne parle même pas des réunions familiales qui n’ont jamais tout à fait cessé d’avoir lieu.

Et là, après trois mois de confinement partiel (très, très facultatif, disons-le) qui n’en a jamais été un finalement, voilà qu’on nous prépare à un probable reconfinement. Un vrai de vrai cette fois. Un sérieux. Un confinement qu’on ne prendra pas à la légère. Avec un ton durci, des mesures strictes et des indications limpides.

Mais quel message envoie-t-on aux restaurateurs qu’on a sacrifiés depuis septembre, vous pensez ? Qu’il s’agissait seulement d’une pratique, d’un exercice ? À leur place, je serais en colère. Il y a eu rupture de contrat. Il fallait veiller à ce que les gens adhèrent scrupuleusement aux consignes et à ce que les efforts et les sacrifices pour casser la deuxième vague ne viennent pas d’un seul côté. Des entrepreneurs ont perdu leur commerce pour qu’on en arrive à un bilan accablant de presque 2000 cas par jour un trimestre plus tard.

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