Cher élève, en cette fin de session sur fond de fin du monde, j’ai envie de t’exprimer ma reconnaissance. Sans masque. À cœur ouvert.

Je te l’avoue d’un souffle, épuisée, éreintée, les yeux aussi secs que mes jointures brûlantes d’eczéma : ta présence numérique, cet automne, m’a sauvée.

On parle partout de détresse psychologique, d’isolement, d’anxiété chez les élèves et chez les enseignants. C’est un triste constat que je fais quotidiennement et mon sentiment d’impuissance – l’impression d’en faire trop et en même temps le sentiment que ce ne sera jamais assez – est immense.

J’ai la certitude toutefois que cet automne, notre cours de littérature fut un prétexte, une bulle hors de l’angoisse universelle pour réussir, ensemble – à travers la fragilité des auteurs, la vulnérabilité des narrateurs, les cris du cœur des poètes – à passer au travers d’une saison remplie d’incertitudes et de deuils.

J’aurais tant aimé t’accueillir en personne dans notre classe. Te souhaiter une belle journée en te croisant dans les corridors ou à la bibliothèque. Jaser avec toi durant les pauses. Lire l’incompréhension dans ton regard, et être la témoin privilégiée de ces véritables moments d’« épiphanie », ces instants où l’éclair du savoir et le spasme de la connaissance auraient traversé ton corps.

Ils apprennent, tu sais, le corps et le cœur. Ils ont une mémoire, une profondeur que l’écran parvient difficilement à nourrir.

Nous ne nous sommes jamais rencontrés – comme c’est étrange lorsqu’on y pense – mais je t’imagine clairement devant moi, assise ou assis à ton bureau, celui que tu aurais choisi et qui t’aurait servi de repère dès le début de la session.

Je devine, sous le reflet bleuté de l’écran sur ton visage, sous tes traits tirés, ta fatigue, pleine, lourde, qui t’aspire doucement.

J’aurais voulu entendre ta voix plus souvent, mais le bonheur de voir ton nom apparaître dans ma liste d’élèves connectés à la plateforme à chaque séance fut grand et réconfortant. Tu ne m’as pas laissée tomber.

Tu as su me ramener au moment présent, chaque jour, en exigeant le meilleur de moi.

Tu m’as forcée à faire preuve de créativité.

Tu m’as fait rire grâce à tes blagues en clavardage.

Tu as donné un sens à mon travail grâce à tes salutations avant et après chaque cours.

Tu m’as sauvée du vide, du néant, de l’ennui.

Je voulais te dire que ton visage, ces deux pouces carrés que tu as occupés dans mon écran quelques fois pendant la session, a fait partie d’une fresque magnifique ; celle de notre classe, celle des humains qui l’ont composée et qui seront liés par des circonstances tout à fait extraordinaires.

Je ne l’oublierai pas de sitôt.

Je constate la chance que j’ai eue en cette période de confinement : tu m’as fait une place dans ton salon, dans ta maison. Tu as été là, pas toujours autant investi, avouons-le, mais tu as été là. C’est déjà beaucoup.

Cher élève, merci pour ta vérité, pour ta franchise. Malgré les dégringolades qu’on a connues, on s’est levés, ensemble, et au bout de l’automne, on a bâti des ponts unissant nos solitudes.

« Rien ne fait plus plaisir à un professeur que de convaincre un de ses élèves qu’il n’y a rien de plus beau que la littérature », écrivait Réjean Ducharme.

Je te dirai que rien ne touche plus le cœur d’un professeur que de constater que son élève lui réchauffe une place en attendant son retour.

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