Il m’arrive d’avoir des flashbacks de ce mois d’avril 2020 que j’ai passé alité sur le divan, impotent, à fixer le mur, noyé dans l’anxiété et la déprime. Incapable d’exécuter quoi que ce soit. La COVID-19 venait de m’arracher une à une mes sources de revenus et, comme plusieurs, je dépendais de la Prestation canadienne d’urgence. On était confinés jusqu’au cou depuis la mi-mars et la situation ne semblait pas vouloir s’améliorer. Les mauvaises nouvelles se succédaient chaque jour depuis des semaines.

Quelques mois avant la pandémie, j’ai dû me retrousser les manches après avoir essuyé une importante perte de salaire. J’en avais alors profité pour me lancer dans le vide en plaçant mes passions au centre d’une nouvelle aventure que j’entamais fébrilement. Ça regardait bien. J’étais très exactement où j’avais toujours souhaité me retrouver.

Quand la COVID-19 a frappé, elle m’a renvoyé au tapis pour la seconde fois en l’espace de quelques mois seulement, mais cette fois, je voyais difficilement comment je parviendrais à m’en relever. Je n’avais plus de plan B, plus de solution de rechange.

Si je vous dis tout ça, c’est que je trouve qu’on a beaucoup instrumentalisé les gens dans ma situation pour justifier des relâchements depuis le début de cette crise sanitaire. Souvent, sans même nous consulter.

On nous a tous mis dans une même boîte. Comme si, par exemple, les gens aux prises avec des troubles de santé mentale voulaient sans exception une seule et même chose, c’est-à-dire plus de lousse dans les mesures sanitaires et aucune contrainte pour recevoir des amis et de la famille à la maison. L’inverse serait improbable.

Aussitôt que j’exigeais un peu plus de prudence de la part du gouvernement, je me faisais expliquer par un inconnu au télétravail avec un salaire annuel de 80 000 $ que, en fait, la pauvreté et la dépression, ça existe, et que si on continue à resserrer les mesures, plus de gens allaient perdre leur boulot et sombrer dans la déprime.

Pourtant, dépression et perte d’emploi, c’était bien moi. J’étais là, à plat ventre au sol et complètement vidé, à écouter des individus dans une bien meilleure posture que moi me dire que je me lavais les mains du malheur des autres. On me prêtait des intentions qui n’étaient absolument pas les miennes.

On présumait que le confinement du printemps m’arrangeait alors qu’en réalité il était en train de m’achever. On se plaisait à penser que je voulais qu’on nous confine avec des mesures draconiennes jusqu’à l’avènement d’un vaccin alors que je voulais simplement un déconfinement prudent et responsable. Je souhaitais qu’on discute de la rentrée scolaire et des fêtes de Noël au beau milieu du mois de juillet pendant que le virus nous offrait un répit afin d’empêcher, justement, qu’on en arrive à devoir paniquer à la dernière minute comme on le fait présentement. Mais rien à faire, l’idée était reçue comme si j’espérais qu’on empêche les Québécois de profiter de la saison estivale.

Quiconque émettait des doutes quant au plan de la rentrée était immédiatement taxé de vouloir nuire au développement cognitif et social des enfants alors que la réalité est pourtant plus complexe que ça. On faisait appel à l’émotion, on nous faisait feeler cheap : « Si tu ne t’affiches pas fermement en faveur de la rentrée, tu es contre l’épanouissement de mes enfants. »

Pour Noël, c’est pareil. Vous remarquerez la rapidité avec laquelle on sort la carte du suicide chez les gens qui vivent seuls, encabanés avec leurs démons. Évidemment que personne n’est insensible à cet enjeu.

C’est vrai que tout le monde n’a pas la même endurance face au confinement qui se prolonge et à l’incertitude pandémique qui flotte dans l’air. Mais il faut éviter de tomber dans le faux dilemme si on souhaite que la discussion reste saine et honnête. On n’a pas à choisir entre le suicide et le confinement strict. Il est possible d’être à la fois inquiet de la tenue des partys de Noël et sensible à la grand-maman de 93 ans qui en est peut-être à son ultime Noël avec ses petits-enfants.

L’un n’écarte pas l’autre même si on aborde plus souvent l’un que l’autre.

Il est crucial qu’on parte de l’idée que chacun est de bonne foi jusqu’à preuve du contraire si on ne veut pas tous finir par se détester d’ici 2022. On est déjà suffisamment tendus et divisés comme ça. Ce qu’on vit est nouveau, éprouvant et stressant. Ça nous rend parfois maladroits et agressifs. On a tous huit ans et demi devant la pandémie. Je ne connais pas beaucoup d’adultes en ces temps de COVID-19. On apprend, ensemble, à vivre avec.

L’espoir d’un vaccin n’appartient désormais plus au registre de l’utopie. On y est presque. Tâchons d’ici là d’éviter de tirer la couverte de notre bord en présumant que les autres cherchent à nous l’arracher des mains, et on devrait bien s’en tirer.

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