J’ouvre le journal et j’apprends d’une part que les chevreuils de Longueuil seront épargnés et que, d’autre part, ceux qu’on a appelés de façon opportuniste « les anges gardiens » ne bénéficieront pas de décisions et de programmes pour les sauver.

En effet, le couperet est tombé, le gouvernement Legault ne permettra qu’à un nombre très limité de personnes sans statut sur le territoire (communément appelées réfugiés) d’obtenir la résidence permanente. Ceux qui pourront bénéficier du programme du gouvernement Legault sont les préposées aux bénéficiaires, les infirmières, les aides-infirmières, les aides-soignants, les aides de maintien à domicile et les superviseurs de soins infirmiers. Or, la pandémie a exposé comment les réfugiés ont permis de maintenir certains services qui se sont avérés essentiels.

Cette nouvelle a ramené à ma mémoire deux expériences culturelles. Qu’arriverait-il si demain, les réfugiés sans statut disparaissaient tous en même temps ? Le film One Day without Mexican offre une réponse.

Ce film américain souligne l’importante contribution des Mexicains à l’économie américaine et au bien-être de sa population. Usant de la satire et de l’humour, le film démontre les conséquences de la disparition soudaine de tous les Mexicains de l’État de Californie.

Leur absence soudaine entraîne également des troubles sociaux de tous ordres.

Matière à réflexion : du moment où les personnes sans statut sur le territoire peuvent se déplacer partout au Canada, nos anges gardiens pourraient aussi choisir d’autres cieux.

Le refus d’accorder la résidence permanente n’est pas sans rappeler la demande d’asile formulée par près de 1000 passagers juifs embarqués sur le paquebot transatlantique allemand MS St-Louis, et qui se sont vu refuser l’asile au Canada.

En janvier 1939, le député libéral Wilfrid Lacroix s’est, en effet, opposé à l’admission des réfugiés juifs en déposant une pétition signée par près de 130 000 Canadiens, dont les membres de la Société Saint-Jean-Baptiste, appelant à la prévention de l’immigration juive.

Au moment de la prise de décision, le directeur de l’immigration, Frederick Blair, s’est exprimé en ces termes : « Il est manifestement impossible pour un pays d’ouvrir ses portes assez largement pour accueillir les centaines de milliers de Juifs qui veulent quitter l’Europe : la ligne doit être tracée quelque part. » En Chambre, le premier ministre Legault a repris la même expression pour justifier sa décision envers les réfugiés sans statut.

En lisant ces propos, j’ai pensé au discours d’Elie Wiesel, survivant du camp de concentration d’Auschwitz, auteur, philosophe, humaniste, prix Nobel de la paix en 1986. Dans son allocution, « Les périls de l’indifférence », il nous rappelait que « l’indifférence peut être tentante – plus que cela, séduisante. Il est tellement plus facile d’éviter le regard des victimes. Il est tellement plus facile d’éviter de telles interruptions grossières dans notre travail, nos rêves, nos espoirs. Il est, après tout, gênant, gênant d’être impliqué dans la douleur et le désespoir d’une autre personne. Pourtant, pour la personne indifférente, son voisin est sans conséquence. Et, par conséquent, leur vie n’a pas de sens. Leur angoisse cachée ou même visible est sans intérêt. L’indifférence réduit l’Autre à une abstraction ».

Alors qu’il réfléchit sur le traitement des réfugiés de MS St-Louis à qui tous ont refusé l’asile, le prix Nobel de la paix s’interroge : « Pourquoi n’a-t-il pas permis à ces réfugiés de débarquer ? Un millier de personnes – en Amérique, le grand pays, la plus grande démocratie, la plus généreuse de toutes les nouvelles nations de l’histoire moderne. Qu’est-il arrivé ? Je ne comprends pas. Pourquoi l’indifférence, au plus haut niveau, à la souffrance des victimes ? »

Alors que nous vivons une pandémie qui révèle les failles de nos systèmes et l’importance de l’humanité, et qu’on nous a répété que nous étions dans la pandémie tous ensemble. Comment l’indifférence a-t-elle pu gagner du terrain ?

Pour Elie Wiesel, l’indifférence à la souffrance rend l’être humain inhumain et « l’indifférence n’est pas une réponse. L’indifférence n’est pas un début ; c’est une fin… la douleur est amplifiée lorsqu’il (l’être humain) se sent oublié. Le prisonnier politique dans sa cellule, les enfants affamés, (ou maltraités) les réfugiés, les sans-abris – ne pas répondre à leur détresse, ne pas soulager leur solitude en leur offrant une étincelle d’espoir, c’est les exiler de la mémoire humaine. Et en niant leur humanité, nous trahissons la nôtre ».

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