L’auteure s’adresse à sa gestionnaire d’immeuble

Émondage : action de débarrasser un arbre des branches mortes, superflues ou nuisibles, des plantes parasites. Taille d’entretien courant, pour favoriser la croissance de rejets ou du feuillage.

Madame, il était 15 h samedi dernier quand j’ai découvert le massacre. « Mon » arbre, celui qui enserrait ma demeure de ses ramures généreuses et donnait à mon balcon des airs de refuge perché, mon arbre avait été éventré. Il gisait là, rompu de toutes parts, lacéré, charcuté. Abattage est le mot consacré pour le sort qui lui avait été réservé. Ne subsistait plus que la partie inférieure du tronc, un tronc gros comme trois hommes, comme vos trois hommes de main qui s’échinaient à le jeter à terre une fois pour toutes. Nous étions plusieurs aux alentours à observer la scène depuis nos balcons, nos cours et nos fenêtres, ahuris, consternés, sciés.

Obsèques d’un peuplier, avant son déterrement.

« Est-ce qu’il était malade ? »

PHOTO FOURNIE PAR ANNE-MARIE VOISARD

Pourquoi l’arbre a-t-il été abattu ? se demande l’auteure de ce texte.

Vos abatteurs professionnels n’en avaient pas la moindre idée. La question, manifestement, ne leur avait même à aucun moment effleuré l’esprit.

Vous aviez cru bon nous aviser, quelques jours auparavant, à la manière « next generation of property management », via Building Stack, un logiciel de gestion immobilière « that helps you manage the entire tenant lifecycle ». Ils n’auraient pas cru si bien dire.

Billet : Bruit

Objet : Travaux d’émondage

Votre magnanimité gestionnaire s’était arrêtée au seuil de cette seule considération : nous prier de bien vouloir vous excuser des éventuels inconvénients causés par le « bruit ».

Le cri strident des scies mécaniques s’est poursuivi, il est vrai, bien après la tombée du jour. Tout comme le vrombissement du convoi funèbre, à qui il fallut plusieurs chargements pour emporter la dépouille du géant.

Mais comment vous expliquer, Madame, la désolation dans laquelle m’a plongée le silence de mort qui règne depuis ? Comment vous parler de l’attente inquiète dans laquelle s’est écoulé mon dimanche, tandis que je guettais en vain la venue de ce couple de cardinaux, d’ordinaire si fidèles ? Sauriez-vous seulement comprendre qu’il est des jours où l’on pleure un arbre comme on pleure sur le sort du monde ?

Je ne sais pas les mots pour vous dire. Nous ne sommes pas faites du même bois.

À défaut d’un langage commun, je joins quelques photos qui, je l’espère, parleront d’elles-mêmes.

De grâce, épargnez-moi l’appel de suivi de vos gestionnaires. J’aimerais simplement que l’on m’informe par écrit – trop peu, trop tard – de la raison pour laquelle on a déraciné et abattu mon arbre. Je vous saurais gré aussi de bien vouloir joindre à votre message une copie du certificat d’autorisation d’abattage d’arbre délivré par l’arrondissement.

En nous souhaitant des jours meilleurs.

*Anne-Marie Voisard a remporté le Prix littéraire du Gouverneur général en 2019 pour son essai Le droit du plus fort, publié aux Éditions Écosociété

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