La COVID-19 ne sera pas la dernière pandémie à laquelle le monde devra faire face. Afin de mieux comprendre le phénomène, nous proposons aujourd’hui le cinquième d’une série de 10 textes publiés dans le cadre d’une initiative de l’École supérieure d’études internationales de l’Université Laval.

Chacun le sait, la COVID-19 amène des défis colossaux à nos gouvernements, au premier chef en matière de santé publique, mais aussi aux plans budgétaire et diplomatique. En matière de commerce international, le virus soumet aussi à rude épreuve le système commercial multilatéral et la solidarité des pays qui sont en libre-échange.

On a pu le constater l’hiver dernier, dès que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a indiqué à la communauté internationale que la COVID-19 avait atteint le stade de pandémie et affecterait l’entièreté de la planète, plusieurs gouvernements ont interdit l’exportation de respirateurs artificiels, d’équipements de protection et de certains produits de première nécessité, y compris des denrées alimentaires. D’autres États sont allés beaucoup plus loin et ont fait détourner vers leurs services de santé nationaux des blouses ou des masques destinés à d’autres pays.

Il est sans doute compréhensible que chaque gouvernement cherche en priorité à protéger ses citoyens et à s’assurer que sa population ne manque pas de ce qui est essentiel à la soigner et la nourrir. Mais la guerre d’approvisionnement que se livrent ces gouvernements, et qui fera forcément des perdants et des victimes, est très préoccupante. Si le droit international doit jouer un rôle en pareilles circonstances, on s’attendrait à ce qu’il force ou au moins qu’il favorise la coopération entre les nations.

Il existe bien sûr le Règlement sanitaire international adopté sous les auspices de l’OMS et qui permet la mise en place de mécanismes visant à endiguer plusieurs impacts des pandémies. Saluons aussi l’initiative COVAX qui contribuera à une plus juste répartition des doses de vaccins quand celui-ci sera disponible.

Le hic est que le droit international économique est à la traîne sur les enjeux qui nous préoccupent aujourd’hui.

Or, ce pan du droit international est celui qui influence le plus nos gouvernements quand vient le temps d’appliquer des mesures nationales qui ont des impacts internationaux.

Le GATT et les autres accords commerciaux multilatéraux admettent le repli protectionniste auquel on a assisté l’hiver dernier. Les règles du droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) autorisent les 164 États membres à interdire les exportations « pour prévenir une situation critique due à une pénurie [de] produits essentiels pour la partie […] exportatrice ». Dans le même sens, les exceptions prévues dans ces textes permettent aux membres de l’OMC de prendre les mesures nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes, des animaux et des végétaux sur leur territoire. Et nombreux sont les juristes qui estiment qu’un État pourrait même invoquer la fameuse exception de sécurité nationale pour suspendre ses obligations en matière de libre-échange et garder pour lui les produits nécessaires à la lutte contre la pandémie ou contre ses conséquences.

Des règles et exceptions inadaptées

Il faut se rendre à l’évidence. Les règles et les exceptions du système commercial multilatéral sont inadaptées à la crise que nous traversons aujourd’hui. Pire, ces règles ne nous permettront pas de gérer l’ère des défis globaux dans laquelle nous sommes maintenant entrés.

Les fondements de l’intégration économique telle que nous la pratiquons encore de nos jours ont été énoncés au sortir de la Seconde Guerre mondiale. De grands diplomates humanistes comme l’Américain Cordell Hull ou l’Européen Robert Schuman ont voulu que le libre-échange soit un facteur d’apaisement des relations entre les Nations, d’enrichissement et de partage de ressources, basé sur la non-discrimination, la réciprocité et les avantages mutuels. Le système vise l’abaissement des barrières aux échanges et l’ouverture des frontières. Mais il autorise un gouvernement à invoquer une exemption ou une exception quand un intérêt national doit primer sur le libre-échange. Le système ne prévoit rien quand le défi est d’ampleur planétaire.

Plusieurs experts contemplent aujourd’hui le concept d’« exception inversée ».

Si une exception permet à un État de refermer ses frontières commerciales pour mieux protéger un intérêt national, une exception inversée forcerait un État à faire le commerce de produits essentiels à la lutte contre un péril auquel sont confrontés tous les pays.

Ce n’est pas demain la veille qu’un tel type d’exception sera intégré dans les accords de l’OMC. Cette organisation est déjà enlisée dans une crise institutionnelle dont on voit mal quand et comment elle sortira.

Mais des solutions, soient-elles d’abord politiques ou diplomatiques, doivent être trouvées. On ne peut plus se contenter d’un système qui ouvre les frontières quand tout va bien et qui permet le repli sur soi quand il est plus nécessaire que jamais de faire circuler des équipements ou un vaccin dont toute l’humanité a besoin. De la même façon, on ne peut pas se contenter d’un système qui laisse à chaque pays le fardeau économique d’imposer chez lui des mesures de lutte face à un défi mondial comme les changements climatiques.

La crise de la COVID-19 l’illustre tristement : le droit économique multilatéral doit être repensé pour relever les défis mondiaux auxquels nous sommes désormais confrontés.

* Richard Ouellet est également directeur du Centre d’études pluridisciplinaires en commerce et investissements internationaux.

La semaine prochaine : COVID-19 : de la santé à l’économie et de l’économie à la santé

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