Député du parti Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne) au Parlement européen, Guido Reill était auparavant mineur à Essen, dans la Ruhr, qui a été la région la plus industrialisée et le cœur industriel de l’Allemagne entre les années 1860 et 1960. Avant de se joindre à l'AfD en 2016, Reill avait été membre du Parti social-démocrate (SPD) pendant 26 ans, syndicaliste et conseiller en travaux. En 2017, lors de la campagne électorale en Rhénanie-du-Nord–Westphalie, on a pu l’apercevoir habillé en mineur sur des affiches de l’AfD arborant le slogan « Le socialisme au cœur avec l'AfD ».

Ces affiches témoignaient de manière particulièrement éloquente du fait que l’AfD, du moins dans les régions d’Allemagne en voie de désindustrialisation, prétend être l’héritière de la tradition socialiste supposément trahie par le SPD. En Allemagne comme dans d’autres parties du monde, le populisme de droite courtise la classe ouvrière blanche, ou ce qu’il en reste, c’est-à-dire les chômeurs, les gens ayant des emplois précaires et ceux qui craignent de sombrer sous peu dans l’une ou l’autre de ces catégories.

L'AfD se drape dans un manteau aux couleurs de préoccupation sociale teintée d’ethnocentrisme et de nationalisme. C’est une recette redoutable. En 2017, le parti a enregistré dans la Ruhr septentrionale son succès le plus étonnant, obtenant localement jusqu’à 16 % des suffrages.

Pendant la République de Weimar, le Parti national-socialiste des travailleurs allemands, plus connu sous le nom de Parti nazi, avait lui aussi tenté de détourner du Parti communiste, du Parti social-démocrate et du Parti allemand du centre catholique les électeurs de la classe ouvrière.

Comme l'AfD, le Parti nazi s’appuyait sur un mélange de racisme, de nationalisme et de volonté d’œuvrer au bien-être des membres de la communauté nationale aryenne.

Il était en outre, comme l'AfD, un parti extrêmement hétérogène capable de susciter l’adhésion de diverses catégories sociales. Le Parti nazi a été le premier parti « attrape-tout » de l’histoire allemande. Au départ parti eurosceptique, l'AfD s’est avant tout opposée à la devise européenne, l’euro. Elle était alors dirigée par un professeur d’économie de Hambourg, Bernd Lucke, qui avait longtemps été membre de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) avant de cofonder l'AfD.

Bien que Lucke ait été évincé de sa tête en 2015, l'AfD continue à attirer les électeurs bourgeois conservateurs jusqu’alors sympathisants de la CDU. L’une des têtes pensantes de l’AfD, Alexander Gauland, a été membre de la CDU pendant 40 ans avant de compter parmi les fondateurs d’Alternative für Deutschland.

L’aile nationale conservatrice de la CDU s’est vue marginalisée par Angela Merkel, la chancelière allemande, qui dirige la formation depuis longtemps.

Merkel a fait glisser son parti vers le centre gauche, ce qui lui a permis de séduire nombre d’anciens sympathisants du SPD. Elle a parallèlement privé de parti les nationalistes conservateurs, qui avaient toujours eu leur place à la CDU avant que Merkel n’en prenne les rênes.

Cela dit, l'AfD possède une solide aile ethnonationaliste, aux membres regroupés dans une faction justement appelée Der Flügel (L’aile). L’un des chefs de file les plus véhéments de cette faction est le président de l’AfD dans le land de Thuringe, Björn Höcke. Nombre de ses partisans entretiennent des liens avec l’extrême droite et les groupes néo-fascistes.

La Thuringe et les États allemands situés sur le territoire de l’ex-Allemagne de l’Est communiste comptent parmi les bastions les plus solides de l’Alternative für Deutschland. Nombre de ces régions ont connu une désindustrialisation massive après la réunification du pays en 1990. Un grand nombre d’Allemands de l’Est ont aujourd’hui l’impression d’être des citoyens de seconde zone par rapport à leurs compatriotes de l’Ouest. À l’Est, les salaires restent plus bas, et le chômage est plus élevé qu’à l’Ouest. Les parcours de vie de nombreux citoyens est-allemands ont en outre été dévalorisés par la rhétorique voulant que l’Allemagne de l’Ouest ait remporté la Guerre froide.

Les cas des länder d’Allemagne de l’Est et des régions de l’Ouest en cours de désindustrialisation, comme la Ruhr, montrent que le potentiel de l’AfD atteint des sommets là où le parti parvient à combiner préoccupations sociales et nationalisme. Le défi de la gauche allemande consiste à trouver des moyens de reconquérir les maillons les plus faibles de la société allemande, déçus par le démantèlement de pans entiers de l’État providence par le SPD, dans les années 1990. La gauche doit revenir à ses valeurs fondamentales de solidarité et de justice sociale, sans céder aux sirènes du nationalisme auxquelles elle a en partie succombé en 1914, 1918-1919, 1923 et 1933, ainsi qu’après la Seconde Guerre mondiale.

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