Tenter d’imposer la loi 101 aux entreprises de compétence fédérale ne réglera en rien la vulnérabilité du français à Montréal.

Le ministre québécois Simon Jolin-Barrette a annoncé son intention de chercher à imposer l’application de la Charte de la langue française aux entreprises privées de compétence fédérale (transports, banques, postes, télécommunications, etc.). À Ottawa, le Bloc québécois a fait savoir qu’il déposera un projet de loi en ce sens.

Disons-le tout de suite : il s’agit d’une bataille futile. D’une part, parce que le gouvernement fédéral n’acceptera jamais de soumettre ces entreprises à la loi 101 ; comme le Québec le fait lui-même, Ottawa protège jalousement ses champs de compétence. D’autre part, parce que même si Ottawa acceptait, cela ne réglerait absolument rien au problème de la vulnérabilité de la langue française dans la région métropolitaine de Montréal.

Ce problème vient d’être exposé par une recherche publiée par l’Office québécois de la langue française (OQLF). Sur l’île de Montréal, 80 % des entreprises ont exigé la connaissance du français et de l’anglais lors de leur plus récente embauche. Même à l’extérieur de la métropole, une certaine compétence en anglais a été demandée lors de 62 % des embauches.

Ces données doivent faire l’objet d’analyses supplémentaires afin qu’on comprenne mieux ce qui pousse tous ces employeurs à exiger l’anglais de leurs futurs employés et qu’on puisse envisager des mesures correctrices. Une chose est certaine : rien dans cette étude ne permet de croire que la situation est plus sombre dans les entreprises de juridiction fédérale.

Le ministre dispose sans doute de données plus récentes, mais à notre connaissance, le seul portrait des pratiques linguistiques de ces sociétés qui a été rendu public date de 2013 et vient du gouvernement du Canada. On y apprend que :

– 171 000 personnes travaillent dans des entreprises privées de juridiction fédérale au Québec, ce qui représente 4,4 % de l’ensemble de la main-d’œuvre de la province ;

– de ce nombre, 36 400 (21 %) sont sous le régime de la Loi sur les langues officielles, qui garantit leur droit de travailler dans la langue officielle de leur choix ;

– de plus, 63 411 (37 %) travaillent pour des entreprises qui ont volontairement demandé et obtenu un certificat de francisation de l’OQLF (par ex. : Bell Canada, Vidéotron, la Banque Nationale, la Banque Royale…) ;

– il reste donc 71 189 personnes travaillant pour des entreprises sous compétence fédérale qui ne sont soumises à aucun régime linguistique particulier. Cela représente 1,8 % de tous les employés au Québec.

On voit tout de suite que la main-d’œuvre des entreprises sous juridiction fédérale est trop petite pour avoir quelque impact que ce soit sur le portrait d’ensemble de la langue de travail au Québec. De toute façon, la recherche publiée par Ottawa montre aussi que les pratiques linguistiques des entreprises sous juridiction fédérale diffèrent peu de celles des autres employeurs ; 85 % des francophones y travaillant emploient principalement le français au boulot.

Autrement dit, s’attaquer spécifiquement aux entreprises sous juridiction fédérale, c’est foncer avec fougue et détermination… vers des moulins à vent. Le problème n’est pas là. Du moins pas plus là qu’ailleurs.

Vouloir imposer la loi 101 aux entreprises fédérales, c’est cependant une excellente occasion de se chicaner avec le gouvernement du Canada, une des occupations préférées des politiciens québécois, de quelque allégeance partisane qu’ils soient.

Réfléchissons toutefois un instant à ce dont on parle ici : 21 % des employés dont il est question sont protégés par la loi canadienne sur les langues officielles. Québec exigera-t-il que ces gens-là soient plutôt placés sous le chapeau de la loi 101 ? Si c’est le cas, qu’arriverait-il aux employés francophones travaillant hors du Québec (pensons à ceux d’Air Canada, de VIA Rail, de la Société canadienne des postes) ? En vertu de quelle logique les autres provinces accepteraient-elles que la Loi sur les langues officielles s’applique chez elles, alors qu’elle n’aurait plus prise au Québec ?

Sans doute le gouvernement Legault envisage-t-il plutôt d’imposer la loi 101 aux seules entreprises fédérales qui ne sont pas déjà soumises à la Loi sur les langues officielles ou qui ne se sont pas pliées volontairement aux exigences de la Charte de la langue française. Or, tel que déjà souligné, ces entreprises emploient seulement 1,8 % des travailleurs de la province.

La fragilité du français comme langue de travail dans la région de Montréal est un problème réel et préoccupant, mais également complexe. Il tient notamment au fait que de nombreuses entreprises québécoises, qu’elles soient de juridiction fédérale ou provinciale, ont de nombreux échanges interprovinciaux et internationaux, échanges où l’anglais est de mise. Comment accommoder ces échanges, les encourager même, tout en garantissant le droit des travailleurs québécois d’employer leur propre langue au travail ? Pas facile. Chose certaine, la solution ne se trouve pas dans un conflit inutile, néfaste et coûteux avec le gouvernement du Canada.

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