L’auteur est retourné vivre au Liban l’an dernier après avoir grandi à Montréal depuis l’âge de 8 ans.

(Beyrouth, Liban) Un premier choc, et puis un souffle qui nous a engloutis. Je revenais à la maison, et au dernier virage avant d’arriver à mon immeuble, une scène digne d’un grand montage hollywoodien s’est abattue sur nous.

La catastrophe n’a duré que 15 secondes tout au plus. La scène de désolation dont j’ai été témoin par la suite était irréelle par son ampleur. Partout autour de moi, des débris en tout genre. Ma voiture a été épargnée par je ne sais quelle intervention divine. Impossible de circuler dans les rues. Les sirènes par dizaines se sont mises à hurler le désespoir ambiant. J’ai parcouru les quelques centaines de mètres me séparant de la maison à la course, évitant les obstacles.

La porte de l’immeuble était défoncée, les escaliers remplis de verre brisé. J’arrive chez moi pour me rendre compte que nul besoin de sortir mes clés, la porte d’entrée n’existe plus… Scène de frayeur en constatant l’étendue des dégâts dans l’appartement : les fenêtres défoncées, les portes arrachées et une énorme anxiété à savoir où se trouve ma petite famille. Ma femme a eu le courage et le réflexe de se planquer avec le petit dans la salle de bains. Je les retrouve assis ensemble à jouer sur la tablette électronique le jeu de dinosaures préféré de mon fils. Et lui, en me voyant arriver, lève la tête et me dit : « Papa, ne me dérange pas, je joue avec maman ! » Il y est allé de sa propre analyse de la situation par la suite, m’expliquant que c’est sûrement la météorite des dinosaures qui est revenue faire tout ce tapage…

Les images parlent d’elles-mêmes et je n’ai pas le courage de vous en dire davantage. Le cœur de Beyrouth, cette grande dame qui a bercé toute une nation, a cessé de battre en ce triste mardi 4 août.

Mes amis ne me reconnaîtront pas dans mon récit, moi qui suis d’un naturel optimiste, surtout lorsqu’il est question du Liban. Je suis toujours prêt à monter au front pour défendre l’héritage de ce peuple, son déterminisme, sa débrouillardise, son esprit entrepreneurial légendaire.

L’amplitude de la catastrophe qui s’est acharnée sur ce petit pays est d’une ampleur inédite. Il faut comprendre que le port de la ville était aussi le cœur économique de tout le pays. Il y a très peu d’importateurs, de distributeurs, de producteurs qui n’avaient pas leurs activités ou des entrepôts dans la région du port. Beyrouth, aujourd’hui, ce sont des centaines de familles endeuillées, des milliers de personnes blessées, 300 000 sans-abri, 10 000 commerces disparus et une ville sur le respirateur artificiel.

PHOTO FOURNIE PAR L’AUTEUR

Vue à partir de l’appartement

Nous avons vécu en ce jour maudit l’équivalent de 15 années de guerre civile en 15 petites secondes. Nous encaissons à peine le choc, amplifié par ce sentiment d’impuissance qui nous prend à la gorge en déambulant dans des quartiers entiers détruits. Certaines des rues les plus festives de la capitale, là où plusieurs amoureux du Liban se reconnaîtront, ont tout simplement disparu. La rue Gemmayzé, lieu emblématique de tant de soirées inoubliables pour de nombreux Libanais d’ici et d’ailleurs, n’est qu’un squelette.

J’ai passé l’essentiel de ma vie à Montréal. J’ai une profonde reconnaissance pour tous les sacrifices que mes parents ont dû consentir en quittant le Liban avec pour unique objectif de nous donner la chance d’être canadiens et de vivre dans une magnifique ville comme Montréal. J’ai un profond attachement pour cette ville qui m’a vu grandir et dans laquelle j’ai fait l’essentiel de mon parcours scolaire et professionnel.

La bataille d’une génération

Nous avons déménagé au Liban il y a un an jour pour jour. Un vieux rêve que ma femme a bien consenti de me laisser vivre, celui de retourner prêter main-forte aux immenses efforts de la société civile au Liban. Depuis, j’ai développé encore plus d’amour et de respect pour tout ce que les Canadiens ont pu construire et pour la qualité de vie inégalée du Canada. Pour ses institutions qui garantissent les droits et libertés de chaque individu. Nous vivons aujourd’hui au Liban la bataille de toute une génération : celle de renverser un ordre établi sclérosé et mafieux qui a ruiné ce petit morceau de ciel tombé sur la terre, tel que l’a louangé un grand poète de chez nous.

Nous n’abandonnerons pas la bataille, celle d’établir les fondations pour un pays libre, équitable et soutenable.

À mes amies et amis du Québec et à tous les amoureux du Liban, nous avons besoin de vous. Cette bataille ne peut être gagnée que si elle trouve écho auprès de vous toutes et tous. Nous devons nous inspirer de tout ce que les Canadiens et les Québécois ont su construire pour en faire écho au Liban. Et lorsque l’attention médiatique s’estompera pour se recentrer autour d’une autre catastrophe, surtout, ne nous oubliez pas.

Le défi qui nous attend est immense. Ce sera un travail de très longue haleine et on aura besoin de vous – votre contribution, votre soutien et surtout vos encouragements pour continuer à développer les liens qui unissent le Québec et le Liban. Développer des relations d’affaires, établir des partenariats, des jumelages, et plutôt que de construire un pont à sens unique entre nos deux sociétés, établir dans les deux sens une autoroute !

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