Le gouvernement Legault veut accélérer son programme d’infrastructure pour redémarrer l’économie. Mais plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer son empressement ou pour promouvoir leur propre agenda. Ces débats sont importants : la cohérence et la rigueur avec laquelle on déploiera un programme d’infrastructure publique rentable qui répond aux besoins des Québécois seront garantes de notre prospérité pour des décennies. Toutefois, le temps presse.

On attribue à l’économiste anglais John Maynard Keynes le concept selon lequel l’État devrait payer des travailleurs à creuser des trous et d’autres à les remplir afin de créer les conditions nécessaires à la croissance.

En pleine Grande Dépression, l’idée était d’utiliser le pouvoir de dépenser de l’État pour stimuler artificiellement l’économie – alors coincée dans un équilibre de sous-emploi, selon le jargon des économistes – et ainsi provoquer un regain de l’optimisme des entrepreneurs, de la confiance des consommateurs et, ultimement, de l’emploi et de la croissance économique.

La crise profonde provoquée par la COVID-19 nous oblige à envisager de nouveau une persistance du sous-emploi si rien n’est fait pour y remédier.

Keynes ne cherchait pas à promouvoir des éléphants blancs, mais plutôt à illustrer que l’inaction a aussi un coût : les bénéfices de la croissance sont retardés et les risques de ne pas rattraper le terrain perdu – et la taille de ce qui est perdu à jamais – augmentent avec la durée du sous-emploi.

Dans le contexte actuel, on peut déjà prévoir qu’un nombre grandissant d’entreprises fermeront leurs portes de façon définitive plus la reprise se fera attendre.

Plusieurs de leurs employés se trouveront un autre emploi, rendant encore plus difficile et plus coûteux le redémarrage des entreprises survivantes.

Une transition accélérée

De plus, la transition accélérée vers une économie numérique (avec moins d’interactions humaines et plus de robots) éliminera de façon définitive et prématurée les emplois de plusieurs travailleurs peu qualifiés et déjà mal payés avant la pandémie.

La qualité de la main-d’œuvre spécialisée risque aussi de se détériorer pour les travailleurs qui resteront longtemps au chômage si ceux-ci ne peuvent se tenir à jour des développements dans leur secteur d’activité.

Cela sans compter qu’en raison de la pandémie, les préférences des consommateurs et les technologies risquent d’évoluer encore plus rapidement, rendant certaines compétences et expertises brusquement obsolètes.

Un tel choc négatif et permanent sur la demande signifie que les besoins des consommateurs s’exprimeront différemment dans le futur. Cela exigera que l’économie se restructure en conséquence pour y répondre.

Il n’y a pas de scénario réaliste où chacun reprend ses activités comme avant la pandémie : des centaines de milliers d’emplois au Québec n’existeront plus ou demanderont une nouvelle expertise.

Même après avoir vacciné toute la population dans un an au plus tôt, des secteurs entiers de l’économie auront basculé vers des nouvelles technologies et des nouvelles pratiques.

Enfin, les sommes perdues par les travailleurs, entreprises et gouvernements en sous-emploi ne seront vraisemblablement jamais entièrement récupérées et les ressources disponibles inutilisées se déprécieront avec le temps.

Pour mieux saisir les impacts de ces manques à gagner, imaginons un individu au chômage en raison de la crise sanitaire. La baisse permanente de ses revenus anticipés pendant sa vie active sur le marché du travail, le forcera, par exemple, à acquérir une résidence plus modeste que celle qu’il avait prévu acheter avant la crise. Et plus longtemps il sera au chômage, plus il devra abaisser ses perspectives.

De même, les effets de la pandémie sur l’économie se traduiront invariablement par une baisse de la capacité des Québécois à financer les services et les infrastructures dont ils entendaient se doter dans l’avenir ; une dynamique qui s’aggravera avec la durée du sous-emploi.

Il est donc essentiel de créer le plus rapidement possible des conditions telles que les entreprises entrevoient l’avenir avec optimisme et investissent pour répondre de façon concurrentielle aux besoins de demain.

Par ailleurs, le déficit d’infrastructure du Québec est tel qu’on ne prévoyait pas pouvoir le combler avec les dépenses prévues aux budgets prépandémie. Nul besoin donc de construire des « routes vers nulle part » pour relancer l’économie.

Toutefois, si les multiples besoins sont connus, les priorités, elles, sont plus difficiles à établir et elles ne font pas souvent consensus. Et, avec des moyens plus limités à cause de la pandémie, il est encore plus difficile de choisir même si faire les bons choix devient aussi plus impératif.

Il faudra de surcroît s’entendre rapidement sur les priorités dans un contexte de grande incertitude : durée de la pandémie, gestion de la deuxième vague, évolution des technologies, changements climatiques, permanence des impacts de la pandémie sur le transport, les loisirs et le tourisme, la restauration, etc.

Comme il y a un coût à attendre et qu’on n’aura jamais toutes les réponses, il faudra, plus tôt que tard, passer à l’action. Il y a toutefois des critères d’analyse de la rentabilité des projets d’infrastructure qui sont incontournables.

Ce sera le sujet de la deuxième partie, publiée lundi.

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