lI y a un an presque jour pour jour, assise dans les sofas de cuir où se tenaient les réunions de rédaction, entourée de mes collègues tout en noir, on m’annonçait que VICE Québec fermait ses portes.

Après l’expérience traumatisante de voir un média que j’adorais disparaître, j’ai pris mon temps avant de me replacer. J’avais peur de revivre la même chose ailleurs, la même peine, le même sentiment de défaite. Mais travailler en médias, c’est ce que je connais, c’est ce que j’aime. Alors je suis embarquée dans l’aventure de relancer le Voir. J’ai hésité longtemps. On a dû me convaincre, mais mon amour pour la création a pris le dessus sur mes craintes. Il faut dire que c’était un rêve de travailler pour le Voir ; comme bien des gens, j’attendais le jeudi avec impatience pour lire le journal « qui tache les doigts » du début à la fin.

Depuis des mois, la petite équipe du Voir travaillait à une relance éditoriale. Au printemps, on devait vous présenter de nouveaux collaborateurs, un nouveau site web, un nouveau logo… La COVID-19 a mis la hache dans ce beau projet : le 18 mars, 4 employés du Voir ont été mis à pied temporairement.

Personnellement, j’ai encaissé le choc. La perte de mon équipe, avec qui j’avais tissé des liens, et le fait de devoir porter le fardeau et la charge mentale de maintenir en vie, presque seule et pendant près de trois mois, un média dont la mission est de couvrir le milieu artistique au complet.

Grosse impression de déjà-vu : mon été 2020 se dessine comme celui 2019, à devoir vivre un deuil médiatique. Deux années de suite, j’ai dû dire adieu à des médias différents, insolents, inclusifs. VICE Québec et Voir abordaient des sujets qui n’étaient pas traités par les joueurs mainstream, et leur disparition laisse un vide dans le paysage médiatique. Aujourd’hui, des facteurs hors de mon contrôle font que je suis encore placée devant le vide, l’incertitude. Et une période de réflexion qui prend des airs de Jour de la marmotte. Ça ne s’invente pas.

Ça fait plus de 10 ans que je travaille en médias. Chaque emploi a été rythmé par des coupes : postes non remplacés, disparition de départements, réduction de budgets… Il m’est arrivé d’être victime de ces décisions d’affaires, ou de partir avant que le bateau ne coule.

Au magazine Châtelaine, où j’ai commencé ma carrière, j’ai vu des équipes réduites et des budgets amincis. À La Presse, comme d’autres membres de la rédaction, j’ai perdu mon emploi à la disparition de l’édition papier en 2015. Au HuffPost, j’ai assisté à des coupes dans la rédaction. Chez VICE Québec, j’ai perdu des collègues et un média qui m’étaient chers. Et finalement, au Voir, avec l’appui d’une équipe de haut talent, j’ai mis en place les bases d’une relance qui ne verra jamais le jour. Et ça, ce ne sont que les exemples auxquels j’ai assisté.

Depuis que je le connais, le milieu médiatique souffre. Et on le regarde dépérir en se disant que « c’est plate », « c’est triste », « c’est une grande perte », alors que ses revenus s’amenuisent chaque jour un peu plus. Mais le public hésite à payer pour l’information, les agences de publicité et les entreprises privées préfèrent investir des millions dans des géants du web américains, les gouvernements proposent des aides au compte-gouttes.

On se fait croire que ça fait partie du cycle naturel des choses. Un peu comme en culture, quand on se dit que les petites salles de spectacles ont toujours eu de la difficulté et que c’est normal de voir disparaître des espaces artistiques – de nouveaux acteurs remplaceront forcément les anciens ! Mais ce serait oublier que ces pertes ont des impacts sur la diffusion de l’art comme sur les artistes. Même chose quand un média ferme, le coup se fait sentir sur tout le milieu de l’info.

Non, ce n’est pas normal. On assiste à l’affaiblissement du milieu journalistique et à la mort de médias dans une indifférence sournoise.

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