Un deuil inachevé en temps de pandémie

Yolande Van Stappen, tu nous as quittés abruptement le 1er mai dernier.

Tu marchais comme à ton habitude dans le rang que tu connais depuis 42 ans. Tu t’es arrêtée quelques instants et une auto t’a heurtée en reculant… Deux heures plus tard, c’était terminé. Sans un regard, une parole, un dernier « je t’aime » de tes proches.

J’ai dû chercher la dernière date à laquelle je t’ai vue : le 10 mars, avant ce confinement prescrit pour tous. Surtout pour toi, maman, avec tes problèmes cardiaques (triple chirurgie en 2017) et surtout parce que deux de tes trois enfants baignent dans cette pandémie, à l’hôpital Pierre-Le Gardeur, comme médecin et pharmacienne. J’ai annoncé bien des décès à des familles, et maintenant, c’était à mon tour d’entendre ces terribles paroles.

Ensuite, il faut dire que tout est plus complexe en cette ère covidienne : le nombre de personnes qui pourront voir le corps du défunt est restreint ; il faut un habillement spécial pour le voir. Son rapatriement au salon funéraire est complexe ; tous les corps doivent être incinérés, on n’a pas le choix de faire autrement. De plus, il n’y a aucune cérémonie possible, donc aucun membre de la famille (ton frère Christian et sa femme Xuan, ta nièce Élisa Van Stappen et son conjoint) et les amis de France ne pourront te rendre un dernier hommage.

Les deuils en temps de pandémie ne seront pas faciles, quels qu’ils soient… Oui, on a parlé des décès collatéraux, mais il y aura aussi plusieurs deuils collatéraux.

J’écris beaucoup dans ce deuil… à toi, maman, à plusieurs personnes pour les remercier d’avoir essayé de te sauver, et j’ai décidé de t’écrire un mot d’adieu, un semblant de discours hommage que j’aurais prononcé à cette cérémonie qui n’a pas lieu.

Une autre étape dans mon deuil, peut-être. J’aimerais également qu’en ces temps assez surréels de pandémie, où les morts de nos aînés s’enfilent à près d’une centaine par jour, on se souvienne qu’ils ont été chacun à leur manière des artisans du Québec dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. Nous semblons parfois oublier notre chère devise.

Maman, je repense à ta vie et me dis qu’elle a pris des allures de film à certains moments. Tu es née en France en 1945. Ton grand-père était belge et a rencontré ta grand-mère normande lors de la guerre de 14-18, lui soldat et elle infirmière. Tes parents étaient des marchands de chaussures, sillonnant la France de marché en marché. Tu vivais alors dans un autobus aménagé en habitation… Tu prends une autre direction que celle de tes parents et tu décides de faire des études en secrétariat trilingue à l’Académie de Strasbourg.

Tu y rencontres Viateur Dubé, un Québécois de Cabano, et c’est le début d’une idylle. Tu abandonnes famille et amis pour venir t’installer ici au Québec. Tu fais une maîtrise en éducation et tu réorientes ta carrière en enseignement au cégep régional de Lanaudière, à Joliette. Cela te permettant de pouvoir visiter ta famille en France l’été.

Tu seras enseignante en techniques de bureautique et, plus tardivement, en allemand dans le programme arts et lettres. Le Prix du ministre te sera décerné en 1988 pour ta publication sur « La méthode des cas ». Un article sur toi m’a appris que tu avais fait partie de multiples comités durant ta carrière, tant provinciaux que locaux, dont le comité des femmes.

Tu as travaillé sur le harcèlement sexuel, l’égalité des chances entre les hommes et les femmes et la mise sur pied de la garderie du cégep. Maman, tu étais une femme très engagée que tous tes collègues appréciaient.

Des élèves m’ont également écrit que tu avais changé leur parcours de vie par ton enseignement.

Plusieurs personnes m’ont également écrit, signalant que tu serais très fière de nous, tes enfants, Françoise, Jean-Philippe et moi-même, et de ce que nous sommes devenus. Je veux te dire que c’est moi qui suis fière d’avoir eu une mère comme toi. Toujours de bonne humeur, souriante, tu savourais chaque instant de la vie dans les choses les plus simples.

La morosité de la pandémie n’avait pas influencé ta joie de vivre. Tu étais une excellente confinée : tu suivais les recommandations à la lettre et nous nous étions dit qu’en effet, ça allait bien aller, la COVID-19 ne t’emporterait pas. Mais la vie a décidé qu’elle te quitterait quand même.

Adieu, maman, je t’aime !

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