Ce livre s’intéresse aux résidents et à leur vie dans ces organisations, tout comme aux employés et aux gestionnaires qui y travaillent et qui les gèrent. En ce sens, il se veut une contribution à l’effort soutenant l’évolution de ces organisations […] leur difficile rénovation doit se faire en ayant en tête la trajectoire de soins en entier, en n’oubliant pas la première nécessité, celle de faire les changements qui s’imposent en amont du continuum.

Préposée aux bénéficiaires, un métier genré

Les 42 000 préposés du Québec forment un groupe présentant des caractéristiques sociales précises. Il s’agit tout d’abord d’un métier genré. En effet, selon les données corrélées de l’Information sur le marché du travail d’Emploi-Québec et du MSSS (2018), 82 % des préposés sont des femmes, 18 % sont des hommes. D’autre part, 20 % des préposés sont issus de l’immigration récente, ce qui en fait l’un des métiers au Québec pour lequel le taux d’immigrés est le plus important. Enfin, l’âge moyen des préposés est d’environ 47 ans et il est en augmentation constante.

Ce triple constat n’est pas sans intérêt pour comprendre la problématique de la faible rétention du personnel.

Un personnel plus âgé doit être remplacé en raison de la retraite ou de la plus grande prévalence de maladies du travail en son sein, ce qui accroît les défis de rétention des moins expérimentés. […]

Selon le MSSS (2018), les préposés qui quittent leur emploi ne quittent pas pour autant le réseau de la santé et des services sociaux. Au contraire, les changements de fonction, principalement pour devenir infirmière et infirmière auxiliaire, sont la première cause de démission. Autrement dit, les faibles taux de rétention du MSSS tiennent compte des candidats aux postes d’infirmières cliniciennes et d’infirmières auxiliaires qui, durant leur parcours scolaire, décident d’intégrer temporairement l’organisation comme préposées, principalement pour des raisons stratégiques d’intégration à un CISSS ou un CIUSSS, afin de trouver plus facilement un emploi lié à leur qualification par la suite.

À ce titre, ce n’est pas le fait de travailler auprès d’une clientèle âgée qui pose un problème de rétention de personnel, ni même le fait de travailler en CHSLD, mais bien plus l’absence de bénéfices « extrinsèques » (administratifs : salaires, avantages sociaux, etc.) et « intrinsèques » (organisationnels : latitude décisionnelle, place du gestionnaire immédiat, etc.).

– Extrait du chapitre 4 par François Aubry et Flavie Lemay

« La poétique des soins »

Les gestes soignants ont une portée qui dépasse la réponse à des besoins physiologiques ou psychiques. Par-delà leur efficacité technique, par-delà le maintien en vie d’un organisme et la satisfaction de besoins, ils sont nécessaires pour créer un monde humainement habitable, un monde qui a du sens et où l’on se sent en sécurité. Portés par des interrogations existentielles et fondamentales, ces gestes contribuent à dévoiler des dimensions de l’expérience ainsi qu’à leur donner importance, valeur et signification. C’est ce que je voudrais montrer en examinant la place de la mémoire et du rire en centre d’hébergement.

– Extrait du chapitre 10 par Éric Gagnon

La couche est pleine !

J’aime prendre soin des personnes âgées. C’est pour moi une vocation. Je commencerai ce récit en vous montrant pourquoi les préposés aux bénéficiaires sont épuisés. Par la suite, je vous expliquerai en détail en quoi consiste mon travail, ce qui se passe derrière la porte close d’une chambre et quelles sont mes conditions de travail. Je partagerai avec vous les incohérences vécues du système de la santé, qui, à force de fusions, de remaniements et de coupures, est devenu, selon moi, malade.

Présentement, le personnel des CHSLD fait beaucoup d’efforts pour subvenir aux besoins des personnes qui y vivent, mais les ressources font défaut. J’ai vécu une longue période (travail de soir) où nous étions deux préposés aux bénéficiaires pour 27 patients, dont 14 devaient être couchés au levier, donc avec l’aide de deux préposés. J’arrivais chez moi, après le travail, et je pleurais de fatigue. Voilà presque dix ans de cela.

– Extrait d’un témoignage d’une préposée aux bénéficiaires

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Les organisations de soins de longue durée, Collectif sous la direction de François Aubry, Yves Couturier et Flavie Lemay, Les Presse de l’Université de Montréal, mai 2020, 276 pages.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion